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Aziliz Le Corre : "Peut-on prétendre défendre la cause des femmes, en faisant d’elles des hommes comme les autres ?"

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06.01.2025

Dans L’enfant est l’avenir de l’homme (Albin Michel), Aziliz Le Corre livre une réflexion sur les causes de la dénatalité en Occident, en prenant le contre-pied des théories féministes qui, de Simone de Beauvoir à Élisabeth Badinter, ont œuvré à la déconstruction du lien biologique unissant la mère à l'enfant, perçu comme une source d’asservissement pour la femme.

Si Aziliz Le Corre reconnaît aux féministes universalistes le diagnostic de l'inachèvement de la révolution féministe (en témoigne une inégalité persistante dans le partage des tâches ménagères, accrue par la charge professionnelle dont elle s’accompagne pour un traitement salarial inégal), elle juge que ces dernières ont eu tendance, en se focalisant sur l’inégalité des sexes, à dénigrer une distinction fondée en nature : le privilège accordé aux femmes, de porter la vie. À cette déconstruction se sont greffées, dans un contexte d'urgence environnementale, des injonctions sociétales nouvelles à se réaliser individuellement autrement et pleinement, consacrant une certaine rupture avec la sacro-sainte famille.

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La quête du confort, mantra de nos sociétés modernes, est l'occasion, pour l'autrice, d'une réflexion sur la beauté du monde et l'oubli de sa fonction politique et anthropologique : créer du bien-être par le soin qu'on apporte à ceux qu'on aime mais aussi, au sein de l'espace public, à ceux avec qui on partage un héritage culturel commun. C'est pourquoi l'enfantement pose la problématique de la transmission : enfanter, c’est nous obliger pour l’avenir, faisant de nous des légataires qui deviennent à leur tour des testateurs.

Marianne : Vous sentez-vous devenue l’ambassadrice d’une nouvelle cause : celle de la maternité ? Ce sujet doit-il être incarné pour être compris ? L’avez-vous pensé ainsi, le médium se faisant message ?

Aziliz Le Corre : Ma vie n’a pas valeur d’exemple. Néanmoins, il est vrai que je n’aurais pas pu écrire ce livre, si je n’avais pas été mère – en tout cas pas de la même façon. Non pas par manque de légitimité, simplement parce que la maternité est une expérience phénoménologique, par définition incarnée. Car en devenant mère, ce n’est pas ma vie qui a changé mais mon être.

Comment ? D’abord, au travers de ma chair, en acceptant la dilatation de mon corps, qui s’est transformé pour devenir le berceau corporel et psychique de mon enfant, cet homme en puissance. Puis, au travers de mes sens. Pendant la grossesse, le goût change : c’est la fameuse « envie de fraise » des femmes enceintes. L’odorat s’affine, jusqu’à rendre insupportables certains effluves. Le toucher se dirige vers la peau tendue où viendra se manifester la présence de cet autre, auquel on portera notre affection en touchant notre propre corps.

L’écoute devient plus ciblée : l’on préfère, aux rythmes frénétiques des tubes à la mode, la douceur des Études de Chopin. Le regard aussi se modifie. L’on pose des yeux neufs sur les choses du quotidien et on porte une attention nouvelle aux autres. Notre façon d’être au monde est transformée, comme si la vie nouvelle qui nous habitait prenait le dessus sur notre être. L’espace se modifie également. La femme enceinte protège son enfant, en soutenant fermement son ventre à l’aide de ses bras, comme pour anticiper les potentielles agressions du monde extérieur. L’habitat est adapté pour devenir le nid qui accueillera le nouveau-né. Ce faisant, il devient le foyer de la famille en construction.

La femme enceinte vit une expérience totale, qui laisse une trace à vie. La grossesse anéantit tout dualisme. Le corps n’est plus une simple machine, mais devient une histoire vivante.

Est-ce une forme renouvelée de féminisme ? De quelle façon vous inscrivez-vous dans la tradition féministe qui a........

© Marianne