Un peu de recul s’impose avec le projet de loi 84
Une centaine d’organismes — communautaires, de défense des droits humains, syndicales, etc. — ainsi que 32 personnalités publiques et du monde intellectuel demandent au gouvernement québécois de mettre sur pause le projet de loi 84, la Loi sur l’intégration nationale, dont l’étude détaillée a débuté le 3 avril dernier.
Cette proposition législative soulève d’importantes questions de société, qui ne sauraient faire l’économie d’un consensus rassemblant le plus grand nombre. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, et voici les raisons pour lesquelles nous demandons des consultations publiques, larges et inclusives.
Le projet de loi 84 s’écarte du modèle de l’interculturalisme et opère un glissement dangereux vers un modèle d’intégration de type assimilationniste. Rappelons que le modèle assimilationniste, qui a longtemps prévalu au Québec et au Canada, s’appuie sur une rhétorique anti-immigration, un rejet du pluralisme et une volonté d’imposer les valeurs et la culture de la majorité.
En cherchant à imposer une culture commune et les prétendues valeurs québécoises aux personnes issues de l’immigration et aux membres des groupes ethniques et racisés, le projet de loi 84 s’écarte de manière radicale des principes de réciprocité, de dialogue et de respect du pluralisme qui sont les fondements du véritable interculturalisme.
Présenté comme un geste d’affirmation nationale, le projet de loi s’inscrit dans le prolongement de discours et de mesures qui ont fragilisé le vivre-ensemble au Québec ces dernières années. Ces discours, qui blâment de façon réductrice et mensongère les personnes immigrantes pour une panoplie de problèmes sociaux, servent à justifier des restrictions aux programmes d’immigration et d’intégration, tout en n’offrant aucune solution réelle pour résoudre ces problèmes.
Réaffirmer l’importance de la protection du français ainsi que de la culture et des valeurs québécoises sous le couvert de l’intégration stigmatise encore davantage les personnes immigrantes et certains groupes de population. Nous notons aussi que le projet de loi 84 ne contient aucune disposition se rattachant à la lutte contre la discrimination et le racisme systémique, une lutte pourtant essentielle pour faciliter et favoriser l’intégration.
Le projet de loi 84 propose d’apporter d’importantes modifications à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, qui auraient pour effet de limiter la portée des droits qu’elle garantit. Selon les termes de ce texte législatif, l’exercice des droits humains devrait se faire dans le respect du modèle québécois d’intégration nationale, qui y est défini de façon très générale et dont les modalités restent à préciser par une politique qui sera adoptée ultérieurement par le gouvernement.
Il nous apparaît hautement problématique que la portée d’une loi quasi constitutionnelle puisse être restreinte par une politique gouvernementale, susceptible d’être modifiée au gré des humeurs politiques du moment, sans consultations auprès de la société civile ni débats à l’Assemblée nationale.
Entre autres choses, la possibilité........
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