L’été de l’IA
Le déni n’aura duré qu’un temps. Après avoir dédaigné l’intelligence artificielle (IA) et m’en être tenue le plus loin possible pour des raisons environnementales (eau, énergie), j’ai constaté cet été que l’IA générative s’était immiscée dans toutes les strates de la société. Un assistant pratique, une béquille techno gratuite et un réflexe acquis en très peu de temps. Selon un récent sondage Léger (22-25 août), les Canadiens sont passés de 30 % d’utilisateurs en 2024 à 57 % un an plus tard. Presque le double. Et ces chiffres sont conservateurs.
L’hydre techno a colonisé nos mœurs et nos esprits de façon sournoise et en créant une dépendance, ni vu ni connu. Les uns font écrire leurs courriels, les autres la consultent comme un psy, un ami, un conseiller en dating ou un amoureux (les trois quarts des ados américains, selon une enquête Common Sense parue en juillet, ont entretenu au moins une fois une relation intime avec elle). Le film Her n’est plus de la science-fiction. L’anthropomorphisation d’un chatbot devient naturelle puisque l’IA s’exprime et « pense » comme un humain.
Après quelques tests, j’ai dû me rendre à l’évidence : ChatGPT s’était considérablement amélioré depuis deux ans. Au fil de mes lectures et recherches sur la question, j’ai noté les mots qui me semblaient les plus représentatifs des dangers qui nous guettent (sans consulter une IA) : vitesse, paresse, dépendance, fascination, compétition, soumission (à l’oracle), contagion, et j’ai ajouté les termes flagorneur et éthique. L’IA nous flatte l’ego et dégaine plus vite que son ombre.
Après avoir lu l’historien Yuval Noah Harari (Nexus), l’écrivain et conseiller politique Giuliano da Ampoli (L’heure des prédateurs), écouté des entrevues avec Yoshua Bengio et Geoffrey Hinton (deux parrains de l’IA), j’ai eu l’impression d’être embarquée dans un train aveugle, sans conducteur, vers on ne sait où. L’incertitude est palpable même chez ces experts, plutôt inquiets. Monteriez-vous dans un TGV qui a 10 à 20 % des chances de dérailler ? C’est pourtant vers une telle destination que nous nous dirigeons collectivement. Il y a peut-être une raison pour laquelle Harari (Sapiens) parle d’Alien Intelligence (AI).
La question s’impose : où étaient les philosophes, les éthiciens, les sociologues, les psys, les historiens,........
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