L’espoir ciboire
Y a des mots qui me font grincer des dents, des mots fourre-tout comme « espoir » ou « mieux-être », encore plus que « fake news » ou « nationalisme ».
Bout de ciarge que je devrais me smudger tous les jours au palo santo. Je ne l’ai pas fait ce matin et cette chronique sur l’espoir part en couilles. Je hais les néo-curés qui vous parlent de leur journal de gratitudes alors qu’on perçoit le bruit des bottes au loin, je hais les cours de yoga en sanskrit sans traduction quand j’ai un seul point d’appui, pis je hais le monde positif comme des influenceurs (et qui souffrent de fatigue informationnelle) restés coincés à l’épisode où Kamala souriait à belles dents.
Divulgâcheur : Kamala est allée rejoindre Major Tom en orbite. On ne sait même plus si elle existe. Et la prochaine saison ne sera peut-être pas financée par Netflix. « Pire que le bruit des bottes, le silence des pantoufles » (dixit l’écrivain suisse allemand Max Frisch qui faisait référence à Hitler, pour ton info).
Ces temps-ci, j’ai vu le mot en e qui finit en r passer si souvent que je me suis demandé s’il voulait encore dire quelque chose. Suffit-il à évoquer la sève du printemps ? Même les philosophes sont en chicane avec l’espoir. Tiens, ce texte du prof de philo Jérémie McEwen me parlait récemment : « L’espérance est un mal ».
Mon ex préféré, l’Anglo — mort trop tôt — me répétait : « C’est l’espoir qui tue » (il est parti du cœur, l’organe de l’espoir). McEwen écrit de l’espérance que c’est une « absurdité religieuse », « une valeur chrétienne qui est une erreur ». Pour lui, on peut « désespérer, mais continuer quand même ».
Pour certains, le printemps est la saison de l’espoir, pour d’autres, celle du suicide. Chaque printemps, je songe à cette contradiction et à mon père en allé.
Ainsi, le plus grand contresens fait à propos de l’espérance, consiste à la confondre avec l’optimisme.
Il y a quelque chose de grandiose dans cette époque, un puissant révélateur de ce que, de qui nous sommes. De là à cultiver l’espoir plutôt que tes semis, je laisse ça à ta discrétion. Les deux se peuvent aussi. Perso, en bonne idéaliste déçue, je me recharge l’espérance avec cette manifestation contre la corruption à Belgrade samedi dernier ; 325 000 lampions dans la nuit. Ou avec ces chants de résistance antifascistes, bella ciao, bella ciao ciao ciao, © Le Devoir
