Autant en emporte le vent
Nous nous acheminions doucement, en groupe, dans la forêt illuminée par le ciel étoilé et les lumières de Moment Factory. Dieu est descendu sur nous. Les sapins et les épinettes de Wentworth-Nord étaient encore sous le ravissement de cette messe musicale de Patrick Watson et sa gang. Après six heures de dépaysement magique au cœur de Lost River, les musiciens nous raccompagnaient vers la sortie dans l’obscurité.
Sous ma cape en laine polaire, cachée derrière mon hoodie, j’ai lâché (bien malgré moi) un pet trop sonore pour passer inaperçu, le genre qui fait sourire, catégorie prout pour la route ou trompette de minuit. Ce devait être le repas végane inclus dans le prix du billet, va savoir. Commentaire du Français qui me suit : « En tout cas, c’est pas moi qui ai fait ça ! »
L’amie Maude est pliée en deux. J’en rajoute avec un peu d’humour : « J’ai rien entendu ! » Et là ! J’ai la France prout-ma-chère qui se penche vers moi et me sermonne sur un petit ton pète-sec : « Permettez-moi d’en douter ! »
Mon pauvre garçon, mais tu ne sais pas à qui tu t’adresses ! Pas à la nouvelle directrice de la santé publique, mais à une Keb de souche qui a fait son jardin d’enfance à Paris. J’ai acquis le privilège de me lâcher lousse dans la forêt laurentienne de haute lutte et sur plusieurs générations, ne t’en déplaise.
Les petites choses ont leur importance ; c’est toujours par elles qu’on se perd.
J’ai eu envie de te répondre comme Clark Gable dans Autant en emporte le vent : « Frankly, my dear, I don’t give a damn ! » mais il faut la ref. J’ai répliqué haut et fort sans me retourner :
« Ah les Français ! Ça doute toujours un peu ! »
« Pis ça s’obstine sur toute ! » a renchéri ma chum Marie. Fin de l’intermède musical. Comme écrivait Voltaire : « Presque toujours les choses qu’on dit frappent moins que la manière dont on les dit. »
Après ça, nous avons eu la paix. Chez vous, d’ailleurs, les mots « paix » et « pet » (pè) sont phonétiquement cousins de la fesse gauche. Toute est dans toute.
Bon, d’accord, tu n’as peut-être pas passé ton adolescence à chanter du Plume Latraverse. Je te suggère fortement La bienséance, sur son album Pommes de route, d’un cru un peu vulgaire mais bien senti. Et tu ne connais pas encore mon pote Jamil, auteur-compositeur-interprète du Québec, mi-Français, mi-Marocain, qui gueule « Je pète au lit avec elle » en grattant sa guitare. Je peux comprendre que le concept de clapet........
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