« Mercredi 5 juin, les travailleurs chassés par les CRS réoccupent leur usine » : SKF, une histoire de dignité ouvrière
Dans la nuit du 4 au 5 juin 1985, des centaines d’ouvriers de l’entreprise SKF, à Ivry-sur-Seine, réoccupaient leur usine menacée de fermeture et envahie quelques jours plus tôt par les CRS. L’épilogue de deux années de lutte acharnée sur fond de désindustrialisation galopante et de renoncement politique d’une certaine gauche…
Au printemps 1985, la lutte des ouvriers de l’entreprise SKF d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) allait connaître son paroxysme. Dans la nuit du 4 au 5 juin, plusieurs centaines de salariés et syndicalistes réoccupaient l’usine, envahie quelques jours plus tôt par les CRS. Ils gardaient « leur » entreprise, plusieurs heures durant, face à une véritable armada policière. Cet affrontement, homérique, était l’aboutissement de deux ans de lutte sans relâche contre une fermeture qui mobilisa bien au-delà de la ville. Et symbolisait, déjà, le renoncement de l’État face au ravage de la désindustrialisation.
L’entreprise SKF d’Ivry était une usine de pointe dans le roulement à billes. Elle travaillait aussi bien pour équiper les TGV que les fleurons de l’aéronautique. 600 salariés, contre 2 000 en 1968. Un syndicat CGT très influent (75 % aux élections). Une organisation communiste très présente, avec plusieurs cellules, et un entourage populaire fort. À Ivry, presque chaque famille avait eu, avait ou espérait avoir un de ses membres travaillant dans l’usine.
En 1983, les actionnaires suédois décident de tout fermer et de délocaliser la production, notamment vers l’Italie et l’Espagne. La nouvelle sidère les ouvriers – en majorité des ouvrières – qui se mobilisent aussitôt. La municipalité, confrontée depuis des années à des vagues de départs d’entreprises et des pertes d’emplois par milliers, manifeste sa totale solidarité.
Durant l’été 1983, on craint un mauvais coup du patronat. L’usine est sous haute surveillance du personnel. Les salariés creusent des tranchées devant chacune des sorties pour éviter un déménagement en catimini des machines durant les vacances. On espère bien que la décision de l’inspection du travail, à la rentrée, va contredire le choix de la direction. Car enfin, la gauche est au pouvoir, depuis 1981, et elle a son mot à dire. Du moins, on le croit. Or, l’inspection du travail – et donc le ministère de l’Industrie, dirigé par Laurent Fabius – reprend l’argumentaire des actionnaires et approuve la fermeture.
Alors, c’est la guerre. L’occupation est votée, elle va durer près de deux années. Deux années pendant lesquelles les salariés vont multiplier les démarches et les rencontres, les propositions alternatives, ainsi que les initiatives de lutte les plus diverses. Au moins une action spectaculaire par mois : voyages en Suède, manifestations (y compris en Bateau-Mouche), colloques, journées portes ouvertes, marche en........
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