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Nationaliser ArcelorMittal : une nécessité sociale, industrielle et écologi...

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27.05.2025

La sidérurgie française traverse une crise profonde, incarnée par les annonces répétées de suppressions de postes chez ArcelorMittal, deuxième producteur mondial d’acier. Face à la menace de disparition de sites stratégiques et à la destruction de dizaines de milliers d’emplois directs et indirects, la nationalisation des sites français d’ArcelorMittal s’impose comme une stratégie incontournable. Si Emmanuel Macron et le gouvernement se montrent pour le moment sourds à cette option, celle-ci est défendue par la CGT ; elle a fait l’objet d’un rapport[1] chiffrant son coût et le comparant à celui du désengagement complet de Mittal et de la fermeture des sites français. Si la nationalisation ne règle pas tous les problèmes de la sidérurgie française, elle constitue un premier pas indispensable pour préserver l’emploi, assurer la décarbonation de la production d’acier et conserver une autonomie industrielle, seule capable de garantir une souveraineté dans les domaines de la défense et de la transition écologique.

1. Les causes structurelles de la crise : mondialisation, financiarisation, dumping social et fiscal

La crise de la sidérurgie française ne saurait se réduire à une simple question de compétitivité ou de conjoncture. Elle est le fruit de tendances structurelles lourdes, mais aussi d’une situation sectorielle particulière.

Au niveau sectoriel, il y a les surcapacités mondiales, et notamment chinoises. La Chine, qui produit plus de la moitié de l’acier mondial (1 000 millions de tonnes sur un total de 1 900 millions de tonnes), exporte massivement ses excédents vers l’Europe, provoquant une chute des prix et une concurrence déloyale pour les producteurs européens. L’Europe, grande consommatrice d’acier, subit de plein fouet cette offensive, alors même que la demande mondiale ralentit et que les coûts de l’énergie explosent depuis la guerre en Ukraine. Produisant 126 millions de tonnes d’acier brut en 2023, l’Europe importait plus de 25 millions de tonnes de produits en acier fini, avec un solde commercial qui s’est continument dégradé, passant d’un excédent de 10 millions de tonnes en 2014 à un déficit de 10 millions de tonnes en 2023[2]. La baisse de la demande d’acier émanant notamment des secteurs de la construction et de l’industrie automobile, le ralentissement de l’immobilier en Chine et les incertitudes sur la voiture électrique ont réduit les débouchés de l’industrie sidérurgique au niveau mondial. Quant aux prix de l’énergie au niveau européen, ceux de l’électricité et du gaz ont largement augmenté entre 2020 et 2022, et s’ils ont baissé depuis, ils restent supérieurs à leur valeur d’avant la pandémie de Covid. L’instabilité des prix de l’énergie est cependant à relativiser : certaines entreprises bénéficient de contrats négociés, avec allègements de taxe, ce qui a pu aider à amortir le choc… mais expose également à un renchérissement retardé de l’énergie selon le moment de la renégociation du contrat.

Parmi les causes plus structurelles, on peut citer la mondialisation dérégulée. Les groupes sidérurgiques, à l’image d’ArcelorMittal, organisent la mise en concurrence des travailleurs et des territoires à l’échelle planétaire, cherchant à produire là où les normes sociales, fiscales et environnementales sont les plus faibles, pour ensuite vendre sur les marchés où les demandes sont les plus solvables. Cette logique conduit à la désindustrialisation de l’Europe et à la détérioration de son solde commercial.

La mondialisation va de pair avec la financiarisation, qui oriente les décisions stratégiques vers la recherche du profit immédiat et de la rémunération des actionnaires, au détriment de l’investissement productif et de l’emploi. ArcelorMittal, malgré des résultats financiers positifs, choisit de fermer des sites rentables pour maximiser ses marges, tout en bénéficiant massivement d’aides publiques non conditionnées.

Le dernier élément explicatif pointe justement en direction des régimes fiscaux. ArcelorMittal pratique largement des techniques d’optimisation fiscale, qui réduisent artificiellement sa base imposable en France (via les charges affectées aux entités françaises pour l’utilisation de brevets domiciliés au Luxembourg, et via la manipulation de prix de transfert au sein d’un groupe totalement intégré) pour augmenter la distribution de dividendes et justifier les licenciements. Non content de chercher (et réussir) à payer le moins d’impôt possible, ArcelorMittal s’efforce également de recevoir un maximum de subsides publics. Durant ces dix dernières années, le profit du groupe s’établit, en cumulé[3], à un total de 87,8 milliards alors que le groupe a payé 10 milliards d’euros d’impôts sur les bénéfices au niveau mondial, soit un taux d’imposition effectif à 11,4%.

Pour ce qui concerne la France, durant les dix dernières années, Audrey Giès, directrice fiscale en France d’ArcelorMittal, a affirmé lors de la commission d’enquête du Sénat que l’entreprise avait payé 190 millions d’euros d’impôts sur les sociétés mais avec des pertes fiscales reportables de 1,8 milliards. Ces pertes permettent à l’entreprise de minorer le montant de l’impôt sur les sociétés dû sur les exercices suivants........

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