La force ou la grandeur?
S’il est un mérite qu’on doit reconnaître à Donald Trump, c’est celui de nous avoir imposé pendant des mois un slogan dont nous ne nous sommes pas méfiés, car la publicité nous a si bien habitués aux mots vides que nous en sommes venus à croire qu’ils sont insignifiants, inoffensifs. C’est cette erreur qui insensiblement fait de nous des consommateurs libres d’acheter ce qu’ils croient avoir choisi, de choisir démocratiquement pour les gouverner qui leur a été vendu. Make America great again.
Qui s’est demandé de quel droit Trump et les Américains pouvaient s’approprier le mot et le territoire de l’Amérique, quelle était la grandeur qui aurait été perdue et comment la retrouver ? Les mots vides, surtout ceux qui en appellent à des valeurs sans les définir, sont des chevaux de Troie, en eux se cachent les guerriers, sur eux s’appuie le règne de la force. Lorsque nous comprenons que la grandeur perdue était celle de l’impérialisme américain qui peut envahir un pays avec ou sans armes, lorsque l’empire invisible décrit par Mathieu Bélisle devient visible, nous faisons le tour de notre maison pour y trouver de quoi la défendre.
Puisque la partie visible de la guerre est de nature économique, on compte ses sous, ses ressources, on envoie le message à l’ennemi qu’on peut se passer de lui, qu’on ne se laissera pas faire, qu’on est fier. Tout cela est de bonne guerre, mais ne changera rien, car en utilisant les armes de l’ennemi, nous avons déjà perdu la guerre, non seulement parce que ces armes ne font pas le poids, mais parce que nous adoptons les valeurs décadentes de la culture dominante.
La force de tout empire, écrit Simone Weil, c’est « qu’il peut amener, chez ceux qu’il menace et chez ceux qu’il soumet, cette décomposition morale qui non seulement brise d’avance tout espoir de résistance effective, mais rompt brutalement et définitivement la continuité dans la vie spirituelle, lui substituant une mauvaise imitation de médiocres vainqueurs ». Que certains politiciens se soient empressés de vouloir relancer........
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