Ce que je sais de toi, mon Québec
Je vis dans une colocation soigneusement mal arrangée : hauts plafonds, murs blancs, cuisine épurée, bibliothèque anarchique et réactionnaire. Nous sommes deux : un chef cuisinier qui me concocte des plats après ses nuits passées à inventer des personnages. Et moi, un nostalgique des luttes collectives, lecteur compulsif de Michel Houellebecq.
Houellebecq ? Ce misanthrope grinçant, qualifié de réactionnaire malgré lui, lucide malgré tout. Il dit ce que d’autres taisent : sous les idéaux modernes, il y a souvent un vide. L’individu est plus seul que libre et misérable sexuellement. Les sociétés ouvertes étouffent parfois les voix critiques, surtout les plus douces. C’est dans cet esprit que je me suis plongé dans Ce que je sais de toi, d’Éric Chacour, pour manifester mon amour pour le Québec.
Dans la première partie du roman, le narrateur s’adresse à un Toi aimé, idéalisé, mais interdit. L’interdit est sexuel, affectif et social. Il devient symbole : un amour impossible comme métaphore du mensonge social. Pour moi, ce Toi, c’est le Québec. Celui que mes proches ont idéalisé depuis Haïti. Le Québec francophone avec un accent épique. Un Québec nordique et glacial mariné dans des corps ensoleillés et assoiffés de la mer caribéenne.
Comme dans le roman, le Toi se fissure. L’amour inconditionnel qu’on lui porte n’est pas toujours rendu. Ce Québec accueille toutes les misères du monde, qui pourraient devenir, pour reprendre les mots de Dany Laferrière, une variété de richesses. Nos couleurs, tant qu’elles ne ternissent pas l’image d’une indépendance recherchée. J’aime beaucoup mon Québec. Je me demande parfois........
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