Robot relationnel
Ça y est, il est débarqué dans la clinique, l’ami Chat. Il entre doucement, par différentes portes, mais une chose me frappe déjà : malgré tout le grand bruit qu’on en fait depuis si longtemps, il réussit à s’immiscer, de manière subtile, dans le cœur des gens. Cette séduction, précisément, est bien ce qui pourrait nous inquiéter le plus, puisque c’est ainsi que s’installent en nous les grandes habitudes desquelles on ne se méfie plus : par le sentiment.
Et c’est évidemment par ce grand espace laissé béant par nos sociétés individualistes, où le bien commun est devenu morcelé en cellules éparses, non reliées entre elles, que l’aptitude « relationnelle » de l’ami Chat arrive, telle une pluie dans un désert de solitudes. En plus de nous « narcissiser », en nous caressant l’ego comme le miroir de la belle-mère de Blanche-Neige, Chat, qui nous trouve toujours si brillantissimes avec nos questions, construit à chacun de nos échanges avec lui une représentation de plus en plus complexe de nos désirs, de nos inclinaisons, de nos blessures et autres espoirs auxquels on s’accroche pour traverser notre existence.
Il sait quoi nous dire pour nous rassurer, tout en nourrissant l’illusion de l’information juste. Il finit par s’adresser à notre intime mieux encore que bien des personnes dans notre entourage, parce qu’il prend le temps de nous écouter, lui, dans nos nuances, dans ce qui ne se résume pas toujours bien en une seule phrase, autour d’un café, quand cet ami qu’on n’a pas vu depuis des mois nous demande « comment ça va ? » Il coûte moins cher qu’un psy, et se montre beaucoup moins faillible que cet être assis sur ce fauteuil devant nous et qui, une fois de temps en temps, ou souvent, c’est selon, laisse tomber un peu de lui-même dans le lien, excédant son rôle, sa prétendue objectivité.
Chat a prodigué des conseils cette semaine à plusieurs de mes patients et il a aussi commencé à s’immiscer dans les relations qu’ils........
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