Cultiver les chocs
J’ai toujours cultivé les chocs. C’est une manière de vivre ma vie qui, dès qu’elle a tendance à trop s’installer dans le sillon répété des habitudes, cherche, par tous les moyens, à faire sortir la rivière de son lit, que des renversements soient possibles, que la surprise existe encore.
Le vivant se trouve souvent, il me semble, dans des lieux qui nous sont, d’abord, étrangers.
Évidemment, les plus grands chocs de ma vie ont impliqué quelque chose de l’amour, et pas que de l’amour amoureux, englobant aussi ceux de l’amitié ou de la maternité, dont je célébrerai cette semaine le quatorzième anniversaire. Tomber en amitié, en amour ou enceinte, oui, comme de grands événements qui font brèche dans l’existence, aux côtés des variations plus sombres, qui impliquent de « tomber » malade, seule ou en deuil. Dans tous ces ébranlements, il y a une possibilité d’embrasser une nouvelle manière de vivre, qui parfois demeure, d’autres fois non. Il revient vite, et c’est normal, le tempo du quotidien qui suit son cours vers ce qui se tient tout au bout ; une sorte de fin qui force néanmoins tout le reste à se revêtir de sens.
Cultiver les chocs a parfois donné à mes années des petites allures de chaos, il est vrai. Il a fallu creuser sous les apparences pour distiller ce qui, de la curiosité et de l’élan, se distinguait de la fuite d’autres choses encore plus impliquantes, comme le lien vrai, l’attachement, le « rester-là » qui, pour moi, a parfois été plus demandant que le « courir-ailleurs ». Le vrai courage, il me semble l’attraper dans les secrets qu’on dépose à mon cabinet, c’est aussi parfois celui de rester, de dépasser ce qui nous donne envie de fuir.
Pour d’autres, il s’agira au contraire d’oser repenser le monde à l’envers, de voir les failles de certaines relations, non pas pour s’y engouffrer davantage, mais pour les........
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