La fatigue du colosse
La semaine dernière, la littérature a perdu beaucoup de sang. À quelques jours d’intervalle, deux monuments ont rendu l’âme : l’Acadienne Antonine Maillet et l’Haïtien Frankétienne. Deux êtres libres, qui ont cassé puis reconfiguré les règles du français écrit et de la bonne parlure pour libérer, par la seule force de leur écriture, ceux et celles pour qui s’élever n’était pas dans l’horizon, par manque d’accès à l’éducation, ou parce qu’ils étaient écrasés par une dictature. Deux voix populaires, rares prophètes en leur pays, ont, par des chemins différents et chacun à leur manière, introduit plus de justice dans le monde. Et dire qu’on se demande parfois à quoi sert la littérature.
Je suis retournée fouiner dans les souvenirs d’un voyage inoubliable en Haïti, lors duquel j’ai eu le privilège de rencontrer Frankétienne, il y a douze ans. Rodney Saint-Éloi, poète, éditeur et fondateur des éditions Mémoire d’encrier, avait eu ce rêve complètement fou d’entraîner une trentaine d’écrivains québécois jusqu’à Port-au-Prince à l’occasion des Rencontres québécoises en Haïti. C’est pour moi un voyage marquant et transformateur, un des plus beaux endroits sur lesquels j’ai posé les yeux. J’ai goûté la magie et le mystère de cette voisine francophone dont on sait les difficultés et les urgences… Moi j’ai aussi découvert sa fougue et son volcan.
À l’occasion de ce voyage, nous avions rendez-vous chez Frankétienne, le plus grand écrivain haïtien, le plus libre et colossal, dans sa maison à........
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