Sacrifier les filles
La petite voulait aller cogner chez son amie. C’est ma voisine qui me l’a raconté. Elle voulait aller à la porte de son amie, mais elle était en voyage aux États-Unis. Avec son père. La fille de ma voisine garde cette joyeuse petite fille libre qui, comme bien des Montréalaises, est élevée dans les ruelles et a pour habitude d’aller vérifier si ses amis sont chez eux. À l’âge où l’on se déplace parce qu’on ne texte encore personne ! À l’âge où ton téléphone est une boîte de conserve, et la réalité de notre monde, si t’es chanceux, n’est jamais au bout du fil.
Elle voulait aller cogner chez son amie, et ça n’était sûrement pas à sa gardienne de lui apprendre l’horrible nouvelle, l’absurde fatalité que son amie ne rentrerait pas des États-Unis — car son amie, vraisemblablement, avait été noyée par son père.
Moi, j’écris ceci pendant que ma fille chantonne dans la maison et que la fille de ma voisine doit être chez elle, à côté, en sachant que la petite qu’elle garde vient de se faire annoncer qu’il manquera désormais une amie dans la ruelle. Tu parles d’une annonce à faire par téléphone boîte de conserve.
Je ne sais pas comment on annonce ça, cher journal. Je ne le sais pas, OK ? Moi-même, je ne sais pas très bien comment préparer ma fille........
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