Mal de mère
Bien sûr que tu te tortures avec cette question, ze question, pensant dompter ton instinct, celui-là même que tu ne convoques jamais de toute façon, habituée que tu es à tout raisonner. Il n’y a pas que les tripes au rendez-vous, il y a aussi la pression sociale (parents, amis, J.D. Vance, le pape, Instagram), la construction symbolique sur laquelle repose toute la société, le mythe de la mère qui pèse sur chaque être vivant. Nous sommes tous nés d’une maman.
Il y a dans ta question un « je » sur lequel tu trébuches. Mais je t’informe qu’il ne sera plus jamais question de toi dans cette nouvelle équation de 1 1 = 3 (ou plus). Il sera désormais question de cet autre qui n’a pas demandé à être.
Quelle lourde responsabilité, surtout dans un monde que nous avons saboté, où sept des huit limites planétaires favorables à la vie humaine sont déjà franchies. Cet être qui sortira de toi (ou que tu adopteras, ou que tu feras fabriquer par une autre dans un esprit consumériste où le client n’est plus fidélisé) fera de toi une femme avec un morceau qui se balade hors de son champ de vision, mais toujours fermement cramponné à ses ovaires.
C’est unique, c’est immense, c’est magique et c’est souffrant. On lui donne aussi le nom d’amour inconditionnel. Ça te fait tout surmonter en fermant ta gueule.
Le regretté Christian Bobin décrit si bien cette part manquante dans son livre du même nom : « Il y a les squares, les courses à faire et les légumes à cuire. Et que, de tout cela, personne ne vous sache gré, jamais. Les jeunes mères ont affaire avec l’invisible. C’est parce qu’elles ont affaire avec l’invisible que les jeunes mères deviennent invisibles, bonnes à tout, bonnes à rien. »
Si tu cherches à t’accomplir dans le sacrifice et l’invisible, c’est parfait, mais ne te leurre pas : ton enfant n’est pas là pour te rembourser la monnaie de ta pièce ou donner un sens à ta vie. C’est un don total et aveugle, un risque entier.
Quant au reste, tu l’apprendras sur le tas, la maternité est une injustice entretenue par des millénaires de pratique. Je l’ai dit souvent, je suis devenue féministe après l’accouchement. La théorie s’est inscrite dans ma chair. Peut-être que la lutte féministe part toujours d’une injustice subie. Pour la première fois, je faisais partie d’un groupe dont on attendait tout… en lui concédant des miettes. J’ai découvert la sororité des mères. Tu peux les lire dans........
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