Une photo américaine
En 1919, comme d’autres grandes compagnies affolées par le spectre d’une révolution qui pointe à l’horizon, le grand patron de Kodak, George Eastman, demande à ses employés de prêter allégeance aux affaires de sa compagnie. Eastman le fait sous le couvert d’un patriotisme censé fusionner ses affaires avec la destinée des États-Unis.
Entre deux safaris en Afrique et des parties de chasse à courre en Caroline du Nord, Eastman décrète que ce qui est bon pour Kodak l’est aussi pour toute la population. Cette idée est exprimée, quelques années plus tard, dans une phrase célèbre que l’on prête à Charles E. Wilson, le grand patron de General Motors, le géant de l’industrie automobile américaine. Wilson devient secrétaire à la Défense. Il affirme, paraît-il, que « ce qui est bon pour General Motors l’est aussi pour les États-Unis ». Autrement dit, ce qui est bon pour le pays l’est pour l’industrie. La source de cette phrase apparaît nébuleuse. On peut douter de son authenticité. Son principe n’en est pas moins martelé et adopté.
Il est pratique, pour les grands possédants, d’adhérer à cette conception du monde. L’intérêt général y apparaît fixé par les patrons eux-mêmes, au nom d’une union fabulée entre riches et pauvres, entre dominants et dominés. Ce principe d’union nationale, opéré au nom des nécessités de la production et de son expansion, ne fleurit qu’à condition que les hiérarchies sociales ne soient pas remises en question. Tout ce qui pourrait contrevenir à l’ordre social en place est donc jugé subversif. Pour........
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