Lire (et relire) Montaigne
L’auteur est historien, sociologue, écrivain et enseignant retraité de l’UQAC. Ses recherches portent sur les imaginaires collectifs.
C’est une expérience étrange. D’un côté, il y a quelque chose de très familier dans ces Essais écrits durant la seconde moitié du XVIe siècle. Qu’est-ce qu’on y trouve ? Un auteur qui se prend comme sujet (« je me déchiffre moi-même »), qui explore et commente sans se lasser ce qu’il ressent, conçoit ou entrevoit. Est-ce qu’on ne reconnaît pas ici des échos du Moi-je contemporain ?
Montaigne confie qu’il aurait pu continuer indéfiniment sans jamais épuiser la matière. Aujourd’hui, il y aurait pour cela un nom, pas toujours flatteur. Mais les Modernes voyaient la chose autrement.
Il faut dire que l’entreprise était peu coutumière. Même les reines et les rois ne se racontaient pas, les savants et les moines non plus (sauf pour entretenir et commenter leur rapport avec Dieu). C’était aussi un exercice intellectuel qui ne nécessitait aucun savoir. La descente dans les méandres, dans les profondeurs du Moi en tenait lieu. Une science infuse, si l’on veut.
Comment l’idée était-elle venue à ce noble de naissance, héritier d’un petit château, occupant un haut poste au Parlement de Bordeaux, comblé par la vie ? Une sorte de lassitude apparemment, une prise de conscience de la superficialité des gens et des choses. Subitement, il abandonna tout et, tel un ermite, se retira dans une tour de son château, où il se fit aménager une pièce dans laquelle il allait passer le reste de sa vie à s’auto-ausculter, n’en sortant que pour........
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