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Vers un monde post-croissance

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18.03.2025

Proposition d’une monnaie écologique alternative

Comment adapter l’économie à l’écologie ? Comment faire en sorte de produire des richesses et subvenir à nos besoins sans méconnaître les limites planétaires ? Notre métier de chercheur en économie ne vaudrait pas une minute de notre temps si nous ne nous attelions pas à répondre à ces questions vitales. Sans doute l’idée que je m’apprête à exposer est-elle incomplète et imparfaite, dans l’attente de raffinements et d’approfondissements que seul un débat nourri avec d’autres esprits que le mien peuvent apporter. Toujours est-il qu’elle est susceptible de servir, je crois, à une bonne base de discussion, à un stimulant tonique pour l’élaboration de ses propres idées et projets. Quoi qu’il en soit, ma proposition vient de faire l’objet d’une publication dans une revue scientifique. Si elle ne saurait résoudre tous les défis écologiques, peut-être est-elle en mesure de répondre en grande partie aux plus urgents d’entre eux.

Et si nous repensions l’économie à partir de ses fondements naturels ? Et si nous ordonnions la production et l’échange de biens et services autour des possibilités naturelles ? Aller au-delà de l’impératif de croissance ne signifie pas entrer en récession mais fonder la création de richesses sur les règles de fonctionnement de l’environnement. Non pas contre la nature, mais avec elle.

Comment faire ? En changeant la valeur des biens et services. Si ce que l’on prise intègre dès l’origine les contraintes naturelles, alors on aura quelque chance de concilier économie et écologie. Pour cela, je propose d’adopter une monnaie libellée en « empreinte écologique ». Cet indicateur synthétique mesure ce que l’activité humaine demande à la nature, comme prélèvements de ressources renouvelables et pour absorber la pollution et les déchets rejetés. Il ramène toutes ces dimensions à une même unité de compte, la surface utile à la photosynthèse – exprimée en « hectares globaux » – car le cycle entier de la vie dépend de cette opération cruciale. Par construction, l’empreinte écologique renvoie à une réalité matérielle : quelle surface doit-on exploiter pour produire ce bien ou absorber la pollution émise par sa fabrication ? Il s’agirait de remplacer notre devise – l’euro, le dollar, le roupie… – afin qu’il n’y ait pas d’échappatoire à la prise en considération des limites biologiques au sein d’un espace monétaire donné. Autrement dit, le prix des marchandises reflèterait la rareté naturelle, l’ampleur de ce qu’on exige de la nature. Plus un bien polluerait ou nécessiterait de prélever des ressources, plus il serait cher. Ainsi, les consommateurs se détourneraient de lui. Ses ventes s’effondreraient. Anticipant cela, les entreprises abandonneraient les productions les plus nocives et réduiraient le gaspillage. Par ailleurs, elles seraient incitées à diminuer toujours plus leurs coûts et leurs prix, c’est-à-dire à adopter des processus de fabrication plus respectueux de l’environnement. Le désir de s’enrichir ne serait plus contraire à la vie ; l’économie ne s’érigerait plus sur les décombres de la nature. En poursuivant leurs intérêts, les capitalistes seraient contraints d’aller vers le bien écologique commun.

Voilà pour les grandes lignes. Entrons maintenant dans les détails, pour y débusquer le diable. Examinons d’abord les limites de l’indicateur d’empreinte écologique et les moyens d’y remédier avant de traiter le prix des facteurs de production. Puis nous analyserons le fonctionnement de cette économie monétaire avant de réfléchir au paradoxe apparent d’une valeur que l’on chercherait non pas à accumuler sans fin mais à contenir.

1. Loi naturelle, loi de l’offre et de la demande

L’empreinte écologique intègre, à hauteur de 60 % de l’indice, les surfaces qui seraient nécessaires pour capter les émissions de CO2 dans l’atmosphère. Il incorpore aussi la quantité de ressources naturelles renouvelables, via les surfaces nécessaires à leur production. Par là, il reflète en partie la perte de biodiversité impliquée par l’activité humaine, ainsi que le changement d’usage des sols – plus l’économie augmente son empreinte, plus elle transforme les sols, amenuise la biodiversité et perturbe les cycles de l’hydrogène et de l’azote. En d’autres termes, l’indice entretient un lien indirect avec certaines des limites........

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