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Le meilleur des recettes anti-wokes pour essayistes pressés

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29.05.2025

Merci d’avoir fait l’acquisition de notre manuel de cuisine anti-woke, Face à l’obscurantisme woke, éditions PUF. Avant de se lancer dans la réalisation d’une recette, il est indispensable de se munir des bons outils conceptuels. Tout d’abord, veillez à ne pas définir le wokisme. La clarté nuit au mystère. Si vous décidez d’ignorer cet avertissement, variez les définitions. Le désaccord relatif donnera l’impression d’un objet complexe, protéiforme, menaçant. Surtout, ne justifiez jamais l’appellation « woke ». On ne sait jamais. Contentez-vous d’affirmer qu’il s’agit d’une importation des campus US. Ensuite, tapez suffisamment fort pour qu’on oublie de vous poser la question de la démonstration. L’anti-wokisme est avant tout un art du mélange : malaxez plusieurs ingrédients intellectuels hétérogènes (postcolonialisme, études de genre, intersectionnalité, théorie critique de la race, etc.) pour en tirer un goût épouvantable, liez avec des raisonnements hâtifs et concluez que chacun d’entre eux est indigeste et nocif.

Préchauffez les esprits à 240°C pendant quelques semaines en créant de toutes pièces une polémique. Votre éditeur repousse la parution par calcul éditorial, afin d’optimiser les ventes ? Hurlez à la censure, sous-entendez que les wokes sont à la manœuvre. Les médias n’en seront que plus friands de votre courage et de votre liberté de penser.

La réussite des recettes anti-woke dépend de quelques techniques communes, qu’il convient de brièvement exposer. Appliquez la méthode des grands chefs Heinich et Biasoni : se dispenser de toute citation ou analyse poussée de texte. La pensée n’en sera que plus libre. Puisez à toutes les sources, par ouverture d’esprit – enfin surtout celles de seconde main et les articles de presse. Ainsi votre analyse conservera la légèreté incomparable du survol au-dessus des surfaces. Au besoin, inventez des citations. Masquez la contrefaçon des preuves par la circularité des références. Citez Taguieff, en espérant que personne n’aille vérifier que celui-ci cite Braunstein, lequel tient sa certitude d’Heinich, qui s’est informée auprès de Tavoillot, lequel a consulté Taguieff. Surtout, pour l’acquisition de votre tour de main, n’étudiez pas les statistiques. Les recettes nécessitent une grande imprécision des analyses attribuées aux wokes. Ne regardez pas les preuves statistiques des discriminations. Ramenez tout à un ressenti victimaire. Suivez le théorème de Taguieff : « ce que je ne regarde pas n’existe pas ». Embarquez tout de même un statisticien, Cyrille Godonou, pour que personne ne le remarque (cf. recette du « méli-mélo de statistiques déconfites »). Enfin, n’appliquez pas la méthode scientifique, qui consiste à livrer un examen exhaustif de la recherche, afin d’identifier les avancées, lacunes et points irrésolus d’une question. Mais prétendez le contraire, en vous réclamant de la raison et des Lumières.

Mille-feuilles de préjugés aux épices (Hénin)

Pour 12 médias.

Préparation : 2 jours.

Écriture : 1 journée.

Se dédouaner de ne pas analyser les concepts critiqués : les ramener à des « mots d’ordre ». « Ratatinée par ce rouleau compresseur idéologique, la réalité se résume à quelques mots d’ordre : hétéro-patriarcat, racisme systémique, culture du viol, décoloniser, queeriser, sans oublier l’intersectionnalité, ce nouveau fil à couper le beurre », p. 8. Préférer les couteaux à bouts ronds au fil à couper le beurre.

Multiplier les outrances et les affirmations péremptoires prêtées aux wokes, afin d’assommer l’esprit critique et qu’on finisse par se dire : « il ne saurait y avoir tant de fumée sans feu », au lieu de « que dissimule un tel écran de fumée ? ». Par exemple, faire dire aux wokes, sans preuve ni citation : « le sexe biologique était une invention du patriarcat » (p. 12), « tout savoir se réduit à du pouvoir » (p. 15), « le dogme n’est pas fondé sur une vérité objective, mais sur l’idée que le point de vue subjectif des victimes est la norme de la vérité » (p. 15). Voir à l’œuvre une « matrice calviniste » qui « s’apparente à un nouveau puritanisme » (p. 15).

Insinuer qu’habiter la campagne permettrait de voir le réel (page 12). Ah, le bon sens paysan…

Manier les techniques rhétoriques qui autorisent à se passer de preuve, notamment l’expression « de fil en aiguille ». « Puis, au XXe siècle, ce désir d’émancipation intellectuel se radicalise au contact des mouvements d’émancipation politique. De fil en aiguille, ce déconstructionnisme frénétique rejette toutes les contraintes et tous les déterminismes, au premier chef la nature, qui nous enferme dans un corps........

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