Que vaut la vie ?
Que vaut la vie ? Voilà une question qui peut surprendre au moment où la conscience écologique se fraye un chemin, certes avec des hauts et des bas, au fur et mesure que la crise écologique s’aggrave. C’est pourtant, entre autres, à ce type de question que le philosophe Francis Wolff essaie de répondre dans un livre tout récent La vie a-t-elle une valeur ? (Paris, Philosophie Magazine Éditeur, 2025). Le livre suscitera sans doute nombre de discussions parce qu’il prend à rebrousse-poil la plupart des jugements qui sont émis au sein de la galaxie écologiste au sujet des rapports entre l’humanité et la nature, certains disent même des rapports entre tous les vivants.
Le livre part d’une critique de la pensée qui établit une continuité entre tous les vivants, plus précisément entre les vivants humains et les vivants non humains. Cette thèse a été formulée à la suite de certains travaux de l’anthropologie contemporaine. Notamment par ceux de Philippe Descola[1] qui a récusé la coupure nature/culture ou nature/société, qui, à ses yeux, résulterait de la philosophie cartésienne. Descartes, proclamé coupable parce qu’il aurait théorisé les hommes « comme maîtres et possesseurs de la nature ». Cette thématique se rencontre couramment parmi les penseurs actuels de l’écologie qui ne se préoccupent pas seulement de « sauvegarder l’environnement » mais entendent construire un autre rapport au « vivant ».
Le « vivant » ?
C’est le premier concept que critique Francis Wolff parce que, en ne faisant aucune distinction en son sein, on risque d’être conduit à une attitude anti-spéciste : « montrer qu’il n’y a justement pas de distinction réelle entre humains et non-humains – ou plutôt qu’il ne faut surtout pas en faire ». (p. 17, je souligne). L’auteur prend bien garde de préciser qu’il ne s’agit pas de nier que les animaux connaissent la douleur, les sentiments et sont capables de réfléchir à des stratégies, ni même de nier qu’il y a une interdépendance entre les vivants, mais la discontinuité s’opère ailleurs : « Y a-t-il une interdépendances des vivants, et forment-ils une communauté de fait ? Oui, c’est une évidence de le rappeler. Y a-t-il une interdépendance morale des vivants, et forment-ils une communauté morale ? Non, et c’est un des objets de ce livre de le montrer. » (p. 27). Ainsi, « Mile récits d’apprivoisement, d’amitié, de coexistence, de respect, d’admiration ou de combat – qu’on ne saurait réduire à ces deux pathologies contemporaines que sont la chosification des animaux de boucherie et la personnification de certains animaux domestiques » (p. 90).
Il s’ensuit un objectif moral et politique : « Ce n’est pas le vivant qui est menacé et ce n’est pas l’humanité qui est menaçante. C’est elle, l’humanité, qui est menacée, c’est elle qu’il faut mobiliser. C’est la vie humaine, c’est la survie de l’humanité qu’il faut préserver. C’est elle et elle seule qui a une valeur absolue. La morale humaniste et donc anthropocentriste est la seule possible. Elle est aussi la seule souhaitable. » (p. 27-28). Plus loin, « le spécisme est indispensable à la survie de toutes les espèces » (p. 87).
C’est ici, selon l’auteur, que doivent être définis ce qu’est la vie et ce que peut être la valeur de la vie. « L’humanité seule a une valeur dans le monde, non pas parce qu’elle est supérieure aux autres espèces ou la seule à l’image de Dieu comme dans le texte biblique, mais parce seuls des êtres humains sont capables d’agir moralement. Ce qui peut donner de la valeur à un monde sans valeur et à une humanité qui n’en a pas en elle-même, c’est un acte moral, accompli sans autre motif qu’agir bien. » (p. 33). Car, pour Francis Wolff, « La vie est ce processus indéfini qui transcende les organismes et les espèces ; elle se moque bien des vivants dont elle se sert pour se maintenir elle-même. Elle est sans valeur. […] Le métabolisme permet à l’organisme vivant de demeurer soi. Le maintien dans son être semble bien la finalité de l’être vivant. » (p. 38-39).
On peut alors se demander : « Qu’est-ce qu’un vivant ? C’est quelque chose qui vit. Ce n’est pas une lapalissade, car avec le verbe tout change. Il permet de passer immédiatement de la réponse à la question "qu’est-ce qu’un vivant ?" (c’est quelque chose qui vit) à la réponse à la question "qu’est-ce qui vaut pour un vivant, quel qu’il soit ?" Réponse : vivre. Qu’est ce que le bien (Réponse : vivre). Qu’est-ce que le mal ? (Réponse : ne plus vivre). » (p. 49).
La logique implacable que déroule Francis Wolff lui fait disséquer le concept de « valeur intrinsèque » adoptée par tous les penseurs écologistes. En effet, on serait enclin à conclure du raisonnement précédent que vivre serait une « valeur intrinsèque pour le vivant » (p. 52). Ce concept aurait pour lui de s’opposer à celui de valeur instrumentale, utile. Et de plus, il unifierait tous les vivants, tous animés de la volonté de vivre.
Eh bien, non, affirme avec force le philosophe. « La laitue, le lapin........
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