Les filles sans peau
Je les ai toujours aimées, profondément, avec ce « trop » dont on nous apprend parfois à nous départir à l’école des psys. Avec ce « trop » qu’il ne « faudrait surtout pas confondre avec de la sympathie », tandis qu’on nous enseigne à désunir le soin de l’amour. Avec ce « trop » qui nous fait parfois déborder, qui nous fait même, ô malheur, nous écorcher la peau nous aussi qui, chanceux que nous sommes, avons le privilège d’en avoir une, peau. Une belle grande peau de soignant, qui, parfois, oublie qu’elle doit aussi rester sensible pour éprouver un peu de l’amplitude du souffrir qui se trouve sur le divan d’en face.
Je les appelle les filles sans peau, inspirée par Marie-Sissi Labrèche. Avec son Borderline, l’autrice avait déposé dans mon imaginaire de jeune étudiante en psychologie cette phrase, qui est devenue le point de départ de mille et un récits rencontrés dans la clinique : « J’ai la peau collée à l’envers. » Je les appelle les filles sans peau, mais je sais qu’elles ne sont pas toutes pareilles. Je sais aussi qu’il y a des garçons qui n’ont pas de peau, des personnes trans aussi, et je ne veux pas les mettre en boîte parce que c’est ce qu’elles vivent toutes, trop souvent, partout, tout le temps. On les regroupe sous l’appellation charmante de TPL maintenant, pour « trouble de la personnalité limite », mais j’aime mieux la déclinaison offerte par la si essentielle Marjo Beauchamp, qui parle de « traits de personnalité lumière ».
Je les ai toujours aimées trop, je l’avoue sans honte parce que je n’ai aucun regret d’avoir débordé avec elles, d’avoir embrassé leur douleur comme si c’était la mienne, pendant quelques minutes, quelques heures, parfois quelques mois. Quand on y pense, c’est bien peu de souffrir un peu de ce qui, pour l’autre, constitue l’ensemble des jours, le début, le milieu, la fin de ce qu’on appelle l’existence.
Non,........
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