Les enfants du phare
C’est la fin de l’année scolaire. Sur les fils de nos réseaux, des tonnes de photos d’accomplissements divers alternent avec ces images d’une enfant perdue, retrouvée, puis dispersée à nouveau, immédiatement absorbée par nos jugements, nos discours sur les bonnes manières dont il faudrait gérer le tragique. Des enfants sous les grabats, brûlés vifs ou mutilés continuent de passer inaperçus, aux côtés d’untel qui a terminé son secondaire avec mention, de cette autre qui brille dans sa robe de bal, tout sourire avec ses parents fiers, à ses côtés.
Comprenez-moi bien, toute faillible que je suis, je fais aussi partie de ces parents habités par cette irrépressible sensation douce-amère qui, le temps d’un spectacle de fin d’année, d’un chœur d’enfants dans lequel on cherche le visage du nôtre, nous rappelle que le temps nous emporte, poussant ce qu’on a de plus précieux vers l’avenir tout en nous conduisant progressivement vers notre fin. Comme tous les parents, je suis fière de mes enfants, comme si leur déploiement me renvoyait une image positive de moi, comme si leur succès ne dépendait pas aussi, surtout, de leurs conditions socioéconomiques, de leur chance, d’une série d’événements qui m’échappent complètement, qui parlent d’eux, de leur milieu, de leurs enseignants.
Se rasseoir à la fin du spectacle, en se rassoyant aussi sur la conscience de notre privilège, c’est la seule chose que j’arrive à faire, parfois, pour honorer toute l’inégalité du monde dans lequel nous vivons, toute l’absurdité éprouvée par les contrastes de nos drames.
Une semaine avant la fin de l’année, j’ai été invitée au Phare, un de ces endroits où la beauté brute du vivant nous aide aussi à nous rasseoir, doucement, en pleine conscience, sur nos privilèges de n’être embêtés, dans nos vies de parents, que par des questions de costumes prêts à temps pour le spectacle ou de rattrapage de maths pendant l’été.
J’y suis arrivée au matin,........
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