Aveuglement
Au cours du mois dernier, il m’est arrivé de parcourir presque toute l’histoire du journalisme moderne — un parcours turbulent qui a commencé au XIXe siècle et qui a abouti brusquement à l’heure de pointe dans ma station de métro new-yorkaise, le 19 mai 2025. Réparties sur la plateforme, une cinquantaine de personnes regardaient leurs portables avec une concentration intense. Pas un seul ne lisait un journal ou un livre papier ; pas un seul ne regardait même distraitement autour de lui. Quand je suis monté à bord du train, la même scène se répétait à peu près dans le wagon bondé. À part moi, un seul dissident brouillait le décor monochrome : un jeune homme assis, plongé dans un gros livre cartonné. Une femme debout à côté de moi lisait sur un appareil Kindle, au dos duquel je ne pouvais apprendre ni le titre ni l’auteur de l’œuvre.
Trois semaines auparavant, j’avais bouclé le numéro spécial de juin de Harper’s Magazine, fondé en 1850 et, à différentes étapes de son existence (notamment quand Mark Twain était au mieux de sa forme), la revue intellectuelle dominante des États-Unis. Aujourd’hui, on ne prétend plus dominer quoi que ce soit ; on s’accroche à la survie, pendus au-dessus de l’abîme comme toutes les publications « héritées ».
Suffoqués par Google et Facebook, nous cherchons tous des bouffées d’oxygène chez un lectorat largement indifférent à notre sort. Déjà, on voit des conséquences nuisibles à la démocratie dans ces « déserts d’actualité » grandissants où presque personne, et........
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