Un équilibre royal
Ces dernières années, avant que mon dos refuse de se plier à ma volonté, j’ai roulé souvent à vélo avec un groupe d’amis parmi lesquels se trouvait un solide gaillard. Il était un peu plus grand que moi. Plus costaud aussi. Ce qui d’emblée tend à le situer davantage dans la catégorie des autobus que des cyclistes. Il s’appelait Greg.
Ce diable d’homme était fort comme un bœuf. Ses mollets pouvaient tirer des développements considérables. À chaque révolution opérée par son pédalier, il avalait plusieurs mètres de chaussée. Même à une cadence lente, il parvenait à casser les jambes de quiconque s’entêtait à le suivre. Il avait des jambes d’acier.
Greg vient de mourir. Cet homme doux, attentif, agréable, était professeur de philosophie à l’Université Concordia. Gregory Lavers avait 50 ans. En janvier dernier, malgré la résurgence d’un cancer, il a fait paraître un livre aux presses de l’Université de Cambridge. Ses travaux étaient consacrés à la philosophie analytique, aux mathématiques. Une voie riche, quoiqu’un peu inusitée, expliquait-il, pour explorer les fondements de la logique.
À vélo, loin de la ville, lorsque nous prenions un moment pour nous arrêter afin de souffler, il m’est arrivé de demander à Greg de m’expliquer un peu ses travaux. Tandis que la sueur me brûlait les yeux, la clarté et la précision de son propos trouvaient à me faire comprendre que ce qu’il y a de plus profond, la logique, constitue ce qu’il y a de plus sûr pour l’humanité.
De retour en ville, à chaque feu rouge,........
© Le Devoir
