Le président Ubu
Son autorité grotesque, poussée jusqu’au coup d’État, sa vulgarité crasse, son mélange de cruauté, de lâcheté et de narcissisme en ont fait un personnage singulier. Quand Alfred Jarry donne à voir au public son père Ubu, nous sommes en 1896. Sa pièce, grandiose, voit défiler des personnages de pantins qui sont manipulés par ce roi grossier à l’unilatéralisme forcené.
S’il ressemble à un animal, écrit Jarry, Ubu a surtout la tête porcine. Son nez, explique-t-il, est semblable à la mâchoire supérieure du crocodile. Son corps est protégé par une armure de carton. L’ensemble du personnage le fait frère de la bête marine la plus esthétiquement horrible : la limule.
Ubu est comte de Mondragon et de Sandomir. Il est aussi marquis de Saint-Grégeois. Paré de titres dorés, il se vautre dans la « merdre ». Ses actions précipitées se déroulent en Pologne, « c’est-à-dire nulle part », précise Jarry.
« Nulle part », c’est bien sûr partout. À plus forte raison depuis que tous les repères se sont estompés. Voyagez en n’importe quel pays aujourd’hui, et il y a fort à parier que vous aboutirez toujours au milieu d’un appartement meublé chez IKEA, quelque part entre une bibliothèque Billy et une table Lövbacken. La Pologne d’aujourd’hui est une déclinaison d’une Suède ikéaïsée, assemblée à partir de kits produits en Chine, dans un monde qui se promet d’acheter des avions de chasse et d’engraisser ses armées.
Quel est le projet du père Ubu ? Manger. Tout manger. Puis démolir le monde à la ronde. Tout ne sera pas démoli,........
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