Le champignon de la guerre
Quand je suis passé à son atelier, le printemps dernier, je n’ai pas pensé qu’il était là, ce monument vivant qu’est Pépé. Dans l’entrée, j’ai jasé un moment avec son fils Paolo. Moi qui passe ma vie à noircir du papier voué à jaunir, j’admire ceux qui, comme lui, font de leurs mains des choses destinées à durer.
Après un moment passé à jaser, son fils me dit : « Mon père aimerait bien te dire bonjour. » Ah, mais moi aussi ! Il est chez lui ? « Mais non, il est ici, dans l’atelier », me répond Paolo. « Occupé à souder. Comme d’habitude… Va le voir ! »
Je suis donc entré dans l’atelier… Tout de suite l’odeur de la limaille de métal m’est montée au nez. J’ai contourné une fraiseuse, puis un tour. Il était affairé devant un gabarit, tout courbé, une torche à la main, les yeux protégés par des lunettes rondes qu’aurait pu porter John Lennon. Lorsqu’il m’a vu, il s’est arrêté. Il a souri. Puis, on a parlé deux heures…
Pépé aura 88 ans dans quelques jours. Au début de l’été, il s’est cassé le bassin. Une mauvaise chute. Pas la première fois. Là, il ne s’est pas manqué. « Tu n’as pas idée comme j’ai eu mal ! »
À cause de cette chute, Pépé n’a pratiquement pas bougé de l’été. Enfin, pas comme il l’aurait souhaité. De quoi tuer un homme qui, comme lui, n’arrête d’ordinaire jamais.
Quand je l’ai revu la semaine dernière, il était heureux. Il se déplaçait désormais sans l’aide d’un déambulateur. Il souriait. Je lui ai demandé, pour la forme, comment il allait. « Mal ! Très mal ! Parle-moi z’en pas ! »
Je croyais qu’il me parlerait des suites de sa chute ou du fait........
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