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Alice Kaplan, historienne et écrivaine : « On est dans une ambiance proche de 1984 »

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26.04.2025

De passage en France pour effectuer des recherches sur son prochain livre, l’historienne, écrivaine et professeure à Yale Alice Kaplan s’inquiète des attaques menées par Donald Trump contre les universités américaines et le langage. Elle revient sur son parcours et ses travaux sur la période de l’Occupation en France et sur l’Algérie.

Née en 1954 à Minneapolis, Alice Kaplan est la fille d’un des procureurs américains au procès de Nuremberg. Francophile, parfaitement francophone, elle appartient à la génération d’historiens, dans le sillage de Robert Paxton, qui ont révolutionné le regard sur Vichy et l’Occupation en France.

En 2001, elle publie « Intelligence avec l’ennemi » (Gallimard), un livre remarqué sur le procès de l’écrivain collaborationniste Robert Brasillach, fusillé en 1945. Son livre suivant, « l’Interprète » (Gallimard, 2007), est une enquête sur les cours martiales américaines.

Grande connaisseuse de l’œuvre de Camus, elle a suivi ses traces en Algérie dans « En quête de l’Étranger » (Gallimard, 2016) et noué des liens forts avec ce pays. Après « Maison Atlas » (le Bruit du monde, 2022), une fiction sur la dernière famille juive d’Alger, elle a consacré un récit documentaire à la peintre algérienne Baya, « Baya ou le grand vernissage » (le Bruit du monde, 2024).

En tant que citoyenne américaine, universitaire, comment vivez-vous les attaques menées par Donald Trump ?

C’est un bouleversement inédit. Le mot qui me vient à l’esprit est celui de Blitzkrieg, la guerre éclair. On sait qu’il faut réagir et protester, mais on est déstabilisé par le nombre d’attaques, de gestes de vengeance de la part de cette administration. Des milliers de fonctionnaires dans le service public, des chercheurs en médecine, ceux qui travaillent dans l’aide humanitaire ont vu leurs postes ou leurs financements éliminés du jour au lendemain.

En sciences humaines, des subventions pour des projets concernant le changement climatique ou le genre ont été annulées. Les agences fédérales ont publié une liste de mots à ne plus utiliser : du golfe du Mexique (devenu golfe de l’Amérique) jusqu’à antiracisme, inégalité, équitable. Des mots, mais aussi une vision critique de la société, des outils d’analyse.

États-Unis : Yale, Princeton, Harvard, les universités manifestent contre l’« ingérence » de Trump

Dès qu’on commence à policer le langage, on est dans une ambiance proche de « 1984 », le roman de George Orwell. Tout ce qui s’est passé depuis décembre a dépassé de loin nos pires craintes. Nous entrons dans une ère de néo-maccarthysme.

Comment se manifeste la résistance dans le milieu intellectuel et universitaire ?

Le 5 avril a eu lieu dans tout le pays un grand mouvement, « Hands off » – ce qui veut dire, en anglais, « ne touche pas » : ne touche pas à nos métiers, à nos laboratoires, à notre sécurité, à notre culture ; ne touche pas à mes voisins, à nos enfants, aux immigrés du monde entier. Une très belle lettre a circulé, signée par plusieurs milliers de professeurs juifs, disant : « Nous ne voulons pas être instrumentalisés par le gouvernement de Trump, qui punit la recherche dans les universités sous prétexte d’antisémitisme sur les campus. »

Bien sûr que l’antisémitisme existe sur les campus, mais si on prive l’université de ressources,

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