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Le marxisme écologique est-il vraiment marxien ?

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24.10.2025

Le livre Découvrir le marxisme écologique, Éditions sociales, 2025, dirigé et présenté par Alexis Cukier et Paul Guillibert est une initiative intéressante car elle permet à un large public français d’entrer dans une problématique relativement récente. Elle est de plus originale car elle mélange des écrits de quelques penseurs faisant partie de ce courant écomarxiste[1] et des commentaires et explications sur les thèmes que ceux-ci abordent. Une dizaine d’entre eux sont ainsi présentés successivement : Ted Benton, James O’Connor, Maria Mies, Ariel Salley, John Bellamy Foster, Kohei Saito, Michaël Löwy, Andreas Malm, Jason W. Moore et Alyssa Battistoni.

La problématique est de mettre en évidence les intuitions de Marx concernant les dégâts écologiques engendrés par l’accumulation capitaliste, sans pour cela minimiser les possibles contradictions dues au « développement des forces productives » qui a longtemps été la pierre d’angle du marxisme, sinon de Marx lui-même.

Les auteurs présentés dans ce livre

On retiendra donc la relation entre le procès de travail et les limitations naturelles d’un Ted Benton. Également la mise en évidence de la « seconde contradiction » du capitalisme par James O’Connor (la première étant celle privilégiée par Marx entre les rapports de production et les forces productives de valeur) : celle entre rapports de production et conditions naturelles de production.

Suivent deux textes qui entreprennent d’intégrer ensemble théorie de l’exploitation et luttes féministes. Pour ce courant de pensée que représente ici Maria Miès, « la domination patriarcale ne peut pas se penser dans les termes généraux de l’oppression mais plutôt en termes d’exploitation, c’est-à-dire d’appropriation violente d’un surplus produit par la force de travail des femmes » (p. 57). D’une part, à notre avis, cela rompt avec une idée qui court parmi certains marxistes reconvertis à un certain idéalisme selon lesquels le concept d’exploitation doit être abandonné[2]. D’autre part, pour Maria Miès, « ce sont les capacités des femmes en tant que "productrices de vie" qui sont accaparées par le patriarcat » et « l’exploitation des femmes est incompréhensible sans une étude minutieuse de la division internationale du travail » (p. 57). De son côté, Ariel Salleh considère que « l’écoféminisme constitue un socialisme au sens le plus profond du terme » (p. 68 et 73). Elle réfute l’accusation d’essentialisme contre cette approche, car cette critique reproduit le dualisme consistant à assimiler les femmes à la nature tandis qu’elles sont infériorisées par apport aux hommes. Ainsi il s’agit d’« inscrire une dimension de genre dans la pensée écosocialiste » (p. 76).

Avec John Bellamy Foster, on rencontre l’un des auteurs qui a été le plus loin dans l’idée que Marx était, bien que le terme n’existait pas de son temps, un quasi-écologiste avant l’heure. Au nom du concept marxien de rupture de la relation métabolique que l’homme entretient avec la nature. Cukier et Guillibert notent que Foster se réfère à Paul Burkett, autre pionnier de la vision écologique de Marx, mais il est dommage que le travail de Burkett n’ait pas eu droit à un chapitre comme Foster, alors qu’ils ont aussi travaillé ensemble[3].

Parmi la nouvelle génération s’intéressant au Marx potentiellement écologiste, Kohei Saito[4] soutient que celui-ci a opéré à la fin de sa vie[5] un tournant lui faisant abandonner sa confiance dans le développement des forces productives pour s’orienter vers ce que Saito nomme le « communisme de décroissance » car « le développement soutenable des forces productives n’est pas possible dans le cadre du capitalisme » (p.103). Ainsi, les communes rurales russes préfigureraient selon Marx réinterprété par Saito comme « une cristallisation de sa vision non productiviste et non eurocentrée de la société future » (p. 106). Mais comme l’écrivent Cukier et Guillibert, « du point de vue du commentaire philosophique, il nous semble que les thèses de Saito sont le plus souvent exagérées : c’est peu de choses de dire qu’il est difficile de faire de Marx un penseur de l’écosocialisme et, à plus forte raison, un théoricien de la décroissance, lui qui est resté attaché aux "acquêts positifs" du marché........

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