Au Lignon, dans les souffles de la cité
Il était presque dix heures trente, et tandis que je m’avançais depuis mon appartement vers la place du Lignon, le vent s’engouffrait dans les passages, me frôlait comme une mémoire éveillée. Ici, dans ce quartier, le vent devient personnage. Il change de visage selon les saisons: bise glaciale en hiver, courant vif à l’automne, brise douce au printemps. C’est le souffle du Lignon, brut et tendre, qui soulève souvenirs, voix et fragments de vies. Le 17 mai, je suis venue en écouter le murmure, lors d’une balade urbaine à laquelle j’ai eu le plaisir de contribuer en tant qu’habitante du quartier. Une exploration à l’écoute du lieu, inscrite dans le cadre d’Explore demain, un festival citoyen organisé par le Département cantonal du territoire (DT) depuis 2019, qui invite à rêver, échanger et imaginer ensemble un futur commun.
Dans cet esprit, une phrase m’est revenue en tête au fil de la marche. Le poète Paul Valéry écrivait dans Le Cimetière marin: «Le vent se lève… il faut tenter de vivre.» Un vers simple, mais dense de possibles. On peut l’interpréter comme une invitation à ne pas céder lorsque les repères vacillent, à chercher un sens même quand tout semble incertain. En pensant au Lignon, ces mots prennent une résonance particulière. Comme beaucoup de grands ensembles, il a connu ses tempêtes, des moments où le vent se lève. Mais ici, les habitant·es ont aussi su tenter de vivre, redonner souffle au quotidien, recréer du lien malgré les fractures.
Cette relation entre fragilité et vitalité était justement au cœur de la balade: retracer les trajectoires de celles et ceux qui ont traversé ce lieu, en explorer les expériences, les attachements, mais aussi les ambivalences. Car le Lignon n’est pas seulement une architecture emblématique. C’est un espace vécu, habité, interprété au quotidien. Un lieu où se mêlent souvenirs d’arrivées, gestes d’appropriation, tensions et solidarités silencieuses. Marcher ici, c’est prêter attention à ces histoires souvent invisibles, à la manière dont les corps investissent les recoins du quotidien, dont les usages transforment les intentions initiales du bâti, dont les murs eux-mêmes gardent la trace des passages. Habiter les lieux: entre souvenirs, ruptures et visages familiers du quotidien.
Le silence du samedi matin n’est interrompu que par nos pas, quelques vélos, et les préparatifs d’un événement en cours d’installation. A première vue, l’endroit semble calme, presque figé. Mais il suffit de lever les yeux vers une façade, ou de s’arrêter devant une photo d’archives partagée sur le groupe Facebook du quartier «T’es du Lignon si…» pour que le passé refasse surface. Autrefois, chaque jeudi matin, la place s’animait. Les tentes blanches, les cagettes de fruits, l’appel du poissonnier Monsieur Rivolta, la fromagère qui offrait un morceau de gruyère aux enfants, et le bibliobus qu’on attendait comme une fête. Autour du marché, le quartier prenait forme et visage. Dans........
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