La sociologue franco-turque Pinar Selek doit enfin être définitivement acquittée
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*Liste complète des signataires de cette tribune au bas du texte, rangés par pays
et sur le site de Pinar Selek
Pinar Selek, éminente sociologue et écrivaine d’origine turque, réfugiée politique en France et désormais citoyenne française, subit depuis plus d’un quart de siècle une persécution politico-judiciaire sans précédent. Pour avoir conduit des travaux de recherche sur la question kurde, elle est la cible d’un acharnement implacable orchestré par le pouvoir turc. Arrêtée le 11 juillet 1998, torturée lors d’interrogatoires visant à obtenir l’identité de ses enquêtés, emprisonnée pendant deux ans et demi, elle est accusée depuis vingt-six ans d’avoir commis un «attentat», et ceci sans aucun fondement: l’explosion qui a eu lieu, le 9 juillet 1998, sur le marché aux épices d’Istanbul ne fut pas causée par une bombe mais, selon plusieurs expertises indépendantes, par l’explosion accidentelle d’une bouteille de gaz.
Vide de preuves, le dossier d’accusation débouche sur des acquittements successifs en 2006, 2008, 2011 et 2014; mais le parquet persiste à faire condamner Pinar Selek, en rouvrant chaque fois une nouvelle procédure. Cette persécution, qui l’a contrainte à l’exil, d’abord en Allemagne, puis en France, se poursuit depuis le 6 janvier 2023 par l’ouverture d’un cinquième procès, assortie d’une demande d’extradition. Pinar Selek est sous le coup d’une condamnation d’emprisonnement à vie.
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Trois audiences ont eu lieu au Tribunal criminel d’Istanbul: les 31 mars et 29 septembre 2023, puis le 28 juin 2024. Toutes se sont soldées par un report. La prochaine audience aura lieu le 7 février 2025. Les juges justifient ces reports par leur demande d’extradition de Pinar Selek, prétextant vouloir l’entendre en personne. La sociologue ne peut évidemment pas répondre à cette demande, au risque d’être emprisonnée; d’autant qu’elle pourrait très bien être entendue depuis un tribunal français, par voie de commission rogatoire, ce que proposent ses avocats mais que refuse la justice turque.
Plus grave encore, l’audience du 28 juin 2024 a été marquée par un tournant extrêmement inquiétant: le régime turc, par la voix de ses services de police, s’attaque désormais à l’université et à la recherche, à travers une nouvelle accusation portée contre Pinar Selek. Un rapport du Ministère de l’intérieur turc l’accuse d’avoir participé à un événement en lien avec «l’organisation terroriste PKK». Il s’agissait en réalité d’une table ronde modérée par la sociologue le 11 avril 2024, événement académique organisé sous l’égide de l’Université Côte d’Azur, de l’Université Paris Cité, du CNRS et de l’IRD.
Cette nouvelle accusation, qui prend l’Université française à partie et porte une grave atteinte à la liberté académique, a pour objectif de forcer Interpol à produire une notice rouge en vue d’obtenir l’extradition de notre collègue et de la museler. Ce faisant, le pouvoir turc entend intimider les très nombreux soutiens de Pinar Selek, ainsi que l’université et la recherche. Parallèlement, l’indépendance de la justice turque continue de se dégrader: les juges chargés de l’affaire à la 15e Chambre de la Cour d’assises d’Istanbul ont été révoqués cet été, et remplacés par des magistrats connus pour la sévérité de leurs verdicts dans des affaires similaires, laissant craindre une collusion encore plus forte entre le pouvoir politique et la justice.
Dans un tel contexte, de plus en plus inquiétant pour les droits humains et la démocratie en Turquie, nous maintenons notre soutien plein et entier à Pinar Selek et réaffirmons notre détermination à obtenir son acquittement définitif. Nous serons à ses côtés le 7 février prochain. Nous serons à Istanbul, dans le cadre d’une délégation internationale qui ira observer le bon déroulement du procès. Notre objectif est d’obtenir un procès équitable et indépendant. Il est plus que temps que la sociologue retrouve son honneur bafoué depuis vingt-six ans et puisse exercer ses libertés fondamentales de chercheuse: travailler, s’exprimer et se déplacer librement en Europe et partout dans le monde, sans encourir le risque d’une extradition. Plus avant, le pouvoir turc doit cesser ses attaques contre les institutions de recherche et contre les universitaires, en Turquie, en France comme ailleurs. Nous serons également à ses côtés en France ce 7 février dans le cadre d’une journée sur les libertés académiques.
Notre engagement aux côtés de Pinar Selek et notre solidarité avec elle sont inébranlables.
*Parmi les signataires:
Les universitaires Julia Steinberger, Jean Batou, Eléonore Lépinard, Stéfanie Prezioso (Université de Lausanne); Didier Péclard, Marc Ratcliff (Université de Genève); Shlomo Sand (prof. émérite, Université de Tel Aviv); Giovanni Lévi (Université de Venise); et en France Fariba Adelkhah, Eric Fassin, Bernard Lahire, Frédéric Lordon, Dominique Meda, Denis Peschanski, Loïc Wacquant,…
Pierre-Jérôme Adjedj Photographe Berlin
Leyla Dakhli CNRS et du Fellow Wissenschaftskolleg zu Berlin
Isabelle Deflers Professeure d’histoire moderne à l’université de la Bundeswehr à Munich
Manuele Gragnolati Professeur de langue et littérature italiennes du Moyen Âge Sorbonne Université Associate Director, ICI Berlin Institute for Cultural Inquiry
Christoph Holzhey Director of the ICI Berlin Institute for Cultural Inquiry Joseph Jurt, Professeur émérite de l'Université Albert-Ludwig, Fribourg en Allemagne
Markus Messling Directeur du Centre Käte Hamburger CURE, Sarrebruck
Jay Rowell Directeur du Centre Marc Bloch
Klaus Schlichte Universität Bremen
Daniel Schönpflug Professeur d'histoire à l'Université libre de Berlin et Directeur des programmes académiques du Wissenschaftskolleg zu Berlin
Barbara Stollberg-Rilinger Rectrice du Wissenschaftskolleg zu Berlin
Osvaldo Battistini, CONICET, Universidad Nacional de General Sarmiento Fernanda Beigel (CONICET, Universidad Nacional de Cuyo)
Analía Gerbaudo (CONICET,Université National du Litoral)
Debora Gorban (CONICET, Universidad Nacional De General Sarmiento) Liliana Kremer (Collectif des femmes du Chaco Americain, Universidad Nacional de Córdoba).
Gustavo Sorá (CONICET, Universidad Nacional de Córdoba)
Verónica López Tessore (Universidad Nacional de Rosario, Asociación Latinoamericana de Antropología)
Gabriel Vommaro (CONICET, Université de San Martin)
Natalia Koutsougera (Department of Social Anthropology, Panteion University)
Mateo Alaluf (Université Libre de Bruxelles ULB)
Jean-Michel Chaumont (Université Catholique de Louvain UCL)
Jon Cultiaux (Université de Namur)
Jean-Michel De Waele (Université Libre de Bruxelles ULB)
Vanessa Frangville (Université libre de Bruxelles ULB)
Abdellali Hajjat (Université libre de Bruxelles ULB)
Matteo Gagliolo (Université libre de Bruxelles ULB)
Kristel Maasen (Université libre de Bruxelles ULB)
Aude Merlin (Université libre de Bruxelles, ULB)
Anne Morelli (Université Libre de Bruxelles ULB)
David Paternotte (Université libre de Bruxelles)
Geoffrey Pleyers (Université Catholique de Louvain UCL)
Pétronille Robert (Université libre de Bruxelles ULB)
Annemie Schaus, Rectrice de l’Université libre de Bruxelles
Jihane Sfeir (Université libre de Bruxelles ULB)
Corinne Torrekens (Université libre de Bruxelles ULB)
Jean Vandewattyne........
© Le Temps
