Carl Gustav, les hasards et moi
Ce n’était pas prévu. C’est, en grande partie, ce qui confère à ce moment sa qualité. Elles sont devenues si rares, les vraies surprises, non ? Avec l’importance que les algorithmes ont prise sur nos trajectoires, notre besoin de contrôle et nos obsessions de la planification ont maintenant toute la latitude imaginable. Le voyage lui-même est devenu planifiable, à la seconde près, sous forme d’expériences « tout inclus », tout comme une certaine manière de penser les relations, avec les mots du « marché », les fiches explicatives contenant des critères externalisés et cette quête d’une adéquation quasi parfaite entre « attentes » et « offres ».
Nous vivons aujourd’hui plusieurs des étapes de nos vies sous un mode d’expérience client, ayant intégré sans en avoir conscience le vocabulaire juridico-économique qui nous assure que nous ne serons pas déçus, si nous prenons les bonnes assurances, si nous faisons les bons choix, si nous sommes judicieux dans nos attitudes et nos comportements. Nous ne serons pas déçus, certes, mais nous risquons aussi de ne plus être surpris, émerveillés, dérangés, déstabilisés, tous ces mots qui diffèrent du mot « satisfaits ». Partout, on sonde notre « degré de satisfaction », comme si l’existence réussie consistait en une accumulation de moments de grâce, d’équilibre parfait entre ce que nous nous imaginions du monde et le monde lui-même.
En psychothérapie, notamment, il arrive souvent que nous ne soyons pas « satisfaits » et que ce soit la plus excellente des nouvelles, un peu comme si le processus en lui-même sous-entendait qu’il n’est pas toujours agréable ou divertissant de nous rencontrer vraiment nous-mêmes. La vérité a ses exigences. Elle se fait parfois drue, revêche, désagréable au toucher ou à la vue.
Le saisissement se trouve encore dans des lieux que nous n’avons pas........
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