Dialogues de bois
Lorsque j’ai vu la paire de jeunes mâles (des jakes, en jargon de chasse) se pointer à la lisière du champ, à environ 200 mètres, j’ai dit à mon partenaire : « Y a un dindon, là-bas. Deux dindons… »
Et lui : « Hein ? Où ça ? »
Puis, il les a repérés aussi, et au même moment, les dindons, qui avaient sans doute aperçu la fausse femelle plantée à une vingtaine de mètres de la cache, ont commencé à marcher vers nous en suivant l’orée du bois. Il a pris le fusil à pompe qu’il avait appuyé à un tronc d’arbre pour pouvoir se servir de son appeau en bois franc, et il a dit : « Tu prends celui de gauche ; moi, celui de droite… »
Camouflés de pied en cap, nous étions accroupis derrière une toile de camouflage tendue par des piquets, mais nos arrières étaient exposés, et leur vue perçante a peut-être capté un mouvement, car les deux oiseaux se sont mis à couvert tout en continuant de se rapprocher, côté bois.
Chez le chasseur non pratiquant que j’ai été pendant des années, la familiarité instinctive du fusil, cet automatisme qui fait que la crosse vous saute à l’épaule et que le canon s’aligne tout naturellement sur la cible, s’est émoussée. Pour se retrouver face à ces dindons qui nous prenaient à revers, il fallait pivoter rapidement, pour ainsi dire au coude-à-coude sur notre position, une manœuvre qui me paraissait délicate avec des armes prêtes à tirer. Cette lenteur à me repositionner et à épauler mon superposé explique sans doute le ratage du doublé anticipé : pendant que mon compagnon déchargeait son douze sur le dindon........
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