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Nos solitudes en parallèle

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17.05.2025

J’aimerais dire qu’elle m’a assez fait souffrir, mais ce serait injuste, car elle me répare aussi. J’aimerais l’envoyer paître parfois, mais je sais qu’elle est ma plus sûre alliée. On pourrait songer à une relation toxique si le mot « misanthrope » n’existait pas. À trop la fréquenter, je pourrais me perdre. J’en ai besoin quotidiennement et je me porte volontaire pour être ministre (bénévole) de la Soledad.

On la trompe, on la meuble ou on la travestit. Moi, je la préfère toute nue, cul sec. Tu me diras : Joblo, c’est pas sérieux de parler de solitude en mai, les tulipes tulipent enfin, et la « journée mondiale de », c’était le 23 janvier. Et bien si ! Pour la même raison que les jeunes de 18 à 24 ans (62 % en France, 49 % ici) se sentent parfois ou souvent plus seuls que le reste de la population, parce que c’est l’âge où tu es censé te la péter alors que tu es en mou derrière ton écran à gamer ou à regarder un tutoriel de eyeliner passé minuit. Le reste de l’univers semble s’éclater sans toi. Du moins, si on en croit les réseaux sociaux. Pas facile d’être jeune dans un monde de surreprésentation de l’épanouissement personnel sur fond de déconfiture mondiale.

Et la solitude, ce n’est surtout pas un truc de célibataires paumés avec leur chat. Faut pas croire, mon J.D. ! C’est parfois pire à deux. Mais ça, tu le réalises après, en diagonale dans ton lit queen. La solitude en binôme est un pis-aller que bien des gens préfèrent au célibat choisi.

J’observe nos solitudes depuis si longtemps. Hier, celle de ce vieux monsieur voûté au point d’être déjà prêt à ramasser les crottes de son petit chien qu’il promenait. Celle de cette femme en situation d’itinérance devant chez moi, qui se brosse les dents sur le palier d’une maison aussi abandonnée qu’elle. Elle y a élu domicile pour l’été. Celle de ce jeune couple que je croise, muet, le cœur lourd, ensemble mais seuls. Celle de cette vieille dame qui me fait des « hola, hola, como estas ? », comme si elle me connaissait. Celle de l’immigrante qui débarque en ville et suit le mouvement sans connaître personne. Nos solitudes en parallèle, ça fait des lignes droites qui ne se touchent jamais. Et si on se frôle par inadvertance, on s’en excuse d’avance.

La solitude, c’est le lot de tous, de la naissance à la mort. Elle te suit partout, une ombre tenace où tu peux te réfugier au besoin, mais qui pèse parfois au point où tu n’en peux plus de cette compagnie trop envahissante.

Je la devine parfois à travers les lignes des lecteurs qui m’écrivent. Je l’entends dans cette phrase glissée entre deux pièces........

© Le Devoir