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Ma nuit blanche avec Niki

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21.06.2025

Je me sens comme la souris du palais ou comme cette fourmi géante du bestiaire fantastique sur le mur qui me fait face. Dans les nouveaux appartements de Niki de Saint Phalle (1930-2002), je suis une visiteuse passagère installée sur un petit lit d’infirmerie, pour la nuit, entre un rhinocéros doré dont les flancs saignent et un immense arbre serpents, aux 14 gueules ouvertes, prêtes à cracher de l’eau.

Je ne microdose pas de mush ni de kétamine, j’ai seulement avalé un latté bien corsé servi par un barista à l’air hautain très étudié.

Il est 21 h et les derniers invités du vernissage Niki de Saint Phalle. Les années 1980 et 1990 : l’art en liberté quittent la scène et ses flaflas d’usage. Une dizaine de salles accueillent les œuvres de la célèbre peintre, sculptrice et plasticienne installées au Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ). Ses sculptures plus grandes que nature (dont ses célèbres Nanas) n’ont rien à envier à Dalí ou Gaudí, lequel l’a inspirée lorsqu’elle a découvert son parc Güell à Barcelone à l’âge de 25 ans.

De mon côté, c’est le livre de Leïla Slimani Le parfum des fleurs la nuit dans la collection « Ma nuit au musée » qui m’a donné envie de passer une nuit blanche avec Niki. Une vingtaine d’écrivains privilégiés ont pu dormir dans un musée, un peu partout en Europe, dans cette collection de livres qui réunie l’art et la littérature.

Une première ici, le musée de Québec m’a permis de me faufiler une nuit dans de beaux draps avec Niki. « Vous allez vous nikifier ! » m’a prévenue son assistant des 15 dernières années, Marcelo Zitelli. Lui-même a passé quelques nuits blanches auprès de Niki dans son atelier. Elle ne prenait pas un seul jour de vacances, happée par ses projets, ses idées folles, obsédée, sinon à quoi bon ? L’obsession demeure le seul chemin. « N’est-ce pas que l’obsession est aussi essentielle à la créativité que le talent ? » écrit Niki dans son autobiographie Traces.

Une des raisons qui rendent intéressantes les années qui passent, c’est que plus je vis, plus je sais que je ne sais strictement rien. Maintenant que je sais que je ne sais pas, de nouvelles antennes poussent en moi, et j’écoute…

Slimani cite Tchekhov au début de son escapade muséale à la Pointe de la Douane de Venise : « Là où il y a de l’Art, il n’y a ni vieillesse, ni solitude, ni maladie et même la mort n’est plus que la moitié d’elle-même. »

La nuit ne sera que l’ombre d’elle-même, mais elle sera magistrale.

À la fois........

© Le Devoir