Petit peuple
« Il me semble, oui, c’était un rhinocéros ! Ça en fait de la poussière ! » Rhinocéros d’Eugène Ionesco (1959) reste à ce jour un outil pédagogique inestimable pour expliquer l’attrait du fascisme — et la difficulté d’y résister. La pièce se déroule dans une ville de province où le personnage principal, Bérenger, voit le monde qui l’entoure succomber à la « rhinocérite ». Les animaux deviennent une métaphore de la stupidité, de l’absence de langage, de la mentalité de troupeau, mais aussi de la force brute. De la volonté de puissance — pour reprendre le vocabulaire nietzschéen. Celle qui écrase admirablement.
Lorsque les rhinocéros apparaissent, ils suscitent d’abord la peur. Un personnage de logicien leur répond alors que « la peur est irrationnelle, la raison doit vaincre ». Parce qu’il méprise les émotions humaines, le logicien, qui ne fait que raisonner, se transforme en rhinocéros.
Un autre personnage, Jean, ne jure que par la force de l’esprit, « les armes de l’intelligence ». Parce qu’il aspire à la supériorité, prend de haut l’humanité ordinaire et imparfaite, il se transforme lui aussi en rhinocéros. Jean affiche son mépris pour la morale, qu’il faudrait « dépasser ». « L’humanisme est périmé ! Vous êtes un vieux sentimental ridicule ! » lance-t-il à son ami Bérenger, dernier défenseur de l’humanité.
Un à un, les personnages se transforment parce qu’ils refusent de reconnaître le danger du phénomène, croyant qu’on peut combattre la violence brute par l’intellect seul. Au bout du compte, c’est leur mépris du cœur, qu’ils associent à la faiblesse, qui les fait basculer dans........
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