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Industrie : je vous explique tout !

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20.02.2025

Industrie : Je vous explique tout !

Gilles Raveaud, 19 Février 2025.

« Je veux que la France soit une nation start-up. C’est-à-dire non seulement une nation qui travaille avec et pour les start-ups, mais aussi une nation qui pense et agit comme une startup. »

Emmanuel Macron, Discours du Président de la République au salon VivaTech, 15 juin 2017

« Ce qui importe au gouvernement, ce n’est pas de faire un peu mieux ou un peu moins bien ce que les individus font déjà, mais c’est de faire ce qui actuellement n’est pas fait du tout. »

John Maynard Keynes, La fin du laissez-faire, 1924

Pourquoi l'industrie est-elle aussi importante ?

Pourquoi la France échoue-t-elle autant dans ce domaine ?

Pourquoi l'UE est-elle en échec sur ce point ?

Pourquoi les Etats-Unis font-ils tellement mieux que nous ?

Peut-on croire au "made in France", et aux relocalisations ?

Je vous explique tout cela ici.

C’est avec la révolution industrielle que nos pays sont entrés dans l’ère de la croissance économique, engendrant la constitution d’une classe moyenne qui allait porter la démocratie… et une destruction de l’environnement inégalée. Aujourd’hui encore, l’industrie assure à elle seule 80 % des échanges internationaux,[1] et les salaires y sont plus élevés que dans les services.[2] Ainsi la France possède des entreprises leaders dans les transports, l’énergie, ou l’agro-alimentaire.

Mais la désindustrialisation ronge de nombreux territoires, et aucune mesure ne semble capable de la contrecarrer. Face à ce constat, le rapport de Louis Gallois remis en 2012 accordait la priorité à la baisse du coût du travail. Cette analyse erronée conduira à l’adoption du CICE (Crédit impôt compétitivité emploi), qui est probablement la politique de l’emploi la plus inefficace jamais mise en œuvre. De la même façon, le « made in France » et les relocalisations d’entreprises dans notre pays ne constituent pas des pistes prometteuses.

Pour autant, rêver d’une France « sans usines » serait une erreur, car les modes d’organisation de l’industrie se diffusent aux services, à l’image d’Amazon. De même, une France « sans ouvriers » est également une utopie : en dépit des progrès fulgurants des robots, la nécessité du travail humain n’est pas près de disparaître.

Mais ce ne sont pas les start-ups qui dessineront le futur de demain. Car la concurrence ne produit pas par elle-même les innovations radicales, dont seul l’Etat est capable. Ainsi, même aux Etats-Unis, l’I-Phone d’Apple ou les voitures électriques Tesla sont des sous-produits des investissements de l’armée et des universités publiques.

De ce fait, pour réellement innover, c’est à l’Etat entrepreneur qu’il faut faire appel, en veillant à satisfaire des besoins sociétaux.

La grande peur de la désindustrialisation

Le constat est net : aujourd’hui, l’industrie manufacturière ne représente plus que 11 % du PIB en France, contre 23 % en 1974. C’est plus ailleurs : 16 % en Italie, et 23 % en Allemagne.[3] Usine PSA d’Aulnay, hauts-fourneaux d’Arcelor à Florange, locomotives par Alstom à Belfort… les fermetures se multiplient. Et l’annonce par Whirpool en janvier 2017 qu’il comptait délocaliser son usine de sèche-linge d’Amiens vers la Pologne a fait de la question des délocalisations un enjeu majeur de la dernière élection présidentielle.

Pourtant, il ne faut pas oublier que la France est un pays d’accueil pour les investisseurs étrangers. Ainsi, en 2013, 1,8 million de travailleurs en France étaient employés par une entreprise sous contrôle étranger, venues principalement de l’Union européenne, des États-Unis, et de Suisse. Cela représente un salarié sur huit travaillant dans l’économie marchande,[4] une proportion qui atteint un sur six en Île-de-France.[5]

Evidemment, les territoires ne sont pas égaux face au développement économique, les entreprises ayant tendance à se rapprocher soit des lieux de consommation, soit de leurs fournisseurs. Cependant, les villes, autrefois centres industriels, se sont tertiarisées. De ce fait, aujourd’hui, les territoires qui possèdent le plus fort pourcentage d’emplois industriels sont les petites villes, souvent dotées d’une unique usine, une situation qui les rend particulièrement vulnérables aux défaillances d’entreprises.[6]

Mais à quoi est due la désindustrialisation ? Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la mondialisation n’est pas la première cause de la réduction du nombre d’emplois industriels dans notre pays.

Trois causes : mécanisation, externalisation, mondialisation

Si l’emploi industriel semble disparaître, c’est d’abord en raison d’une cause insuffisamment présente dans le débat public : le progrès technique. En effet, la mécanisation fait chuter les prix des produits industriels, mais les gains de pouvoir d’achat sont utilisés par les consommateurs pour consommer plus de services – on va plus souvent au cinéma plutôt que d’acheter une deuxième machine à laver. Ainsi, selon l’étude de référence de Lilas Demmou, alors Chargée de Mission à la Direction Générale du Trésor, publiée en 2010, le progrès technique expliquerait à lui seul 30 % des emplois supprimés entre 1980 et 2007.[7]

Ensuite, la perte d’emplois industriels s’explique, pour 25 %, par l’externalisation par les entreprises d’activités qu’elles effectuaient autrefois elles-mêmes, comme la comptabilité, l’informatique, ou le recrutement, qui conduit à compter ces activités désormais comme des services. De ce fait, contrairement à ce qui se passe avec le progrès technique, les postes de travail n’ont pas été supprimés, simplement les personnes qui les occupent sont employées par des sociétés de service.

Enfin, la concurrence internationale est le dernier facteur. Mais ici, une forte incertitude est de mise, puisque Lilas Demmou ne propose aucun chiffre précis sur le phénomène, tandis que, selon la Fabrique de l’industrie, l’effet est « difficile à évaluer par les économistes ». [8] Certes, une étude récente de la Banque de France estime que les importations chinoises sont responsables de 13 % des pertes d’emplois industriels en France entre 2001 et 2007.[9] Mais, comme le note l’étude, ces biens importés, moins chers, soutiennent le pouvoir d’achat, ce qui accroît la demande, et donc l’emploi, dans d’autres secteurs, Autrement dit, concernant une question aussi centrale que celle de l’effet de la mondialisation sur l’emploi, on ne sait pas.

Face au net recul de l’emploi industriel en France,[10] une cause est souvent avancée, celle du coût élevé du travail dans notre pays. Pourtant, le montant des salaires et des cotisations sociales n’est pas la principale source des difficultés de l’industrie française.

Le rapport Gallois : tout miser sur la baisse du coût du travail

Dans son rapport, Louis Gallois estime que la France est « prise en étau » entre d’un côté l’industrie allemande, positionnée sur un segment de gamme supérieur, et des pays émergents, ainsi que certains pays du sud et de l’est de l’Europe, qui disposent de coûts de production plus faibles. C’est cette combinaison néfaste qui expliquerait le creusement du déficit commercial français, dont les résultats sont très dépendants de quelques secteurs, comme l’aéronautique (avec Airbus), l’agriculture, le nucléaire, ou le luxe.

Pour Louis Gallois, les difficultés commerciales des industriels français les ont conduits à rogner leurs marges, ce qui les a privés de ressources pour investir et développer une compétitivité basée sur la qualité. Par ailleurs, Louis Gallois liste une série de facteurs handicapants : liens insuffisants entre la recherche et l’industrie, difficultés d’accès au financement pour les entreprises, dysfonctionnements du dialogue social, etc.

Afin de donner un nouveau souffle à l’industrie, Louis Gallois propose de créer un « pacte de confiance » incluant des mesures très intéressantes, comme l’introduction dans les organes de direction des grandes entreprises d’au moins 4 représentants des salariés. Mais la mesure principale du rapport Gallois consistait à « créer un choc de compétitivité » en réduisant les charges sociales, et ce jusqu’au niveau très élevé de salaires égaux à 3,5 Smic, pour un coût estimé de 30 milliards d’euros par an.[11]

De façon amusante, la critique la plus virulente à l’égard de cette mesure est venue des économistes libéraux Pierre Cahuc (professeur à l’École Polytechnique) et André Zylberberg (directeur de recherche émérite au CNRS), qui estiment que les baisses de charges sur les salaires plus élevés ont seulement pour effet… d’accroître les salaires. Pour eux, il faut donc baisser les charges seulement « au voisinage du salaire minimum ».[12]

Cela n’empêchera pas le rapport Gallois de trouver un grand écho auprès de Jean-Marc Ayrault, Premier ministre, et François Hollande, Président de la République, qui décidèrent de mettre en place le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE).[13] Il s’agissait en effet, via un mécanisme complexe de crédit d’impôt, de réduire les charges de 6 % (puis 7 % à partir de 2017) pour tous les salaires bruts inférieurs ou égaux à 2,5 Smic.

Or le CICE coûte très cher aux finances publiques, pour des créations d’emplois très inférieures aux attentes.

Baisser le coût du travail : une priorité inutile et très coûteuse

En 2016, le CICE et le pacte de responsabilité ont coûté 36 milliards d’euros au budget de l’Etat, une somme nettement supérieure au budget total de l’enseignement supérieur et de la recherche (26 milliards) ou de la défense (32 milliards).[14] De plus, le CICE s’adresse à toutes les entreprises, même si elles n’exportent pas, comme les hypermarchés, ou ne connaissent pas de problème de rentabilité. Enfin, aucune contrepartie n’a été demandée aux entreprises, que ce soit en termes de créations d’emplois, de conditions de travail, de formation…

Les versements reçus par les entreprises au titre du CICE ont pu être affectés à bien des usages, y compris le versement de dividendes aux actionnaires.[15] La Poste a reçu 297 millions d’euros pour 2013, ce qui ne l’empêche pas de supprimer plus de 4 000 emplois cette année-là.[16]Ainsi, une équipe de recherche de Sciences-Po Paris pouvant écrire en 2016 que les entreprises qui ont le plus bénéficié du CICE « n'ont pas connu de hausse des exportations, des investissements ou de l'emploi en 2013 et en 2014 ».[17]

Au final, l’échec sur le front de l’emploi est spectaculaire. Selon France Stratégie, le CICE a permis au mieux de créer ou sauvegarder 100 000 emplois entre 2013 et 2014.[18] On est loin des promesses de Michel Sapin, alors ministre du travail, de créer 300 000 emplois, sans évoquer le « million d’emplois » promis par Pierre Gattaz, président du Medef. Et si l’on prend en compte le fait que le CICE a coûté environ 30 milliards d’euros à l’Etat entre 2013 et 2014, cela fait un coût de… 300 000 euros par emploi !

Evidemment, l’argent du CICE est bien allé quelque part. Ainsi les marges des entreprises se sont-elles redressées (passant de 30,2 % de la valeur ajoutée en 2012 à 31,4 % en 2015). Mais cela ne s’est pas traduit par une hausse des investissements, qui ne représentent toujours que 22,9 % de la valeur ajoutée en 2015 (contre 22,7 % en 2012).[19] Cela ne surprendra pas : à horizon de un ou deux ans, c’est la demande qui pousse les entreprises à investir, pas le fait de disposer de plus de liquidités.[20]

Et il est difficile de ne pas se scandaliser quand on constate que, en 2016, les entreprises du CAC 40 ont distribué deux fois plus d’argent aux actionnaires sous forme de dividendes nets qu’elles n’ont consacré d’argent aux nouveaux investissements (78 milliards d’euros contre 41 milliards).[21] Une aberration, quand il faudrait que les entreprises investissent pour créer des emplois et mettre en œuvre la transition écologique !

Enfin, il faut échapper à la fausse évidence selon laquelle il faudrait à toute force baisser le coût du travail en France. Certes, le coût horaire moyen de la main-d’œuvre atteint 35 euros en France en 2016, contre seulement 4 euros en Bulgarie, 5 euros en Roumanie, et 9 euros en Pologne.[22] Mais si l’on compare avec notre concurrent préféré,........

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